PORTRAIT – Sur les réseaux sociaux, les prêches musclés de ce prélat originaire d’Irak n’épargnaient pas l’islam, ce qui lui avait déjà valu des menaces de mort.
L’église assyrienne du Christ Bon Pasteur, à l’ouest de Sydney, était pleine à craquer ce lundi soir. Les fidèles assistaient à une messe en mémoire d’un défunt célébrée par un prélat au charisme particulier, l’évêque d’origine irakienne Mar Mari Emmanuel. Au milieu de l’office, un garçon de 15 ans s’est précipité vers l’autel, un couteau à la main. Le jeune radicalisé a eu le temps de frapper le religieux à la tête et de blesser au moins trois autres personnes, avant que les fidèles ne se précipitent pour le plaquer au sol.
«S’il ne se mêlait pas de ma religion, s’il n’avait pas insulté mon prophète, je ne serais pas venu ici», crie alors l’adolescent d’une voix étouffée et en arabe, dans une vidéo partagée sur des groupes WhatsApp privés et consultée par The Guardian Australia. «S’il parlait juste de sa propre religion, je ne serais pas venu», répète-t-il. Des propos qui ont permis aux autorités australiennes de confirmer, dès le lendemain, le caractère «terroriste» et la «motivation religieuse» de l’attaque, que des milliers de téléspectateurs ont pu voir en direct, impuissants, depuis la chaîne YouTube du prédicateur.
Influenceur au franc-parler
Car Mar Mari Emmanuel, 53 ans, est très actif sur les réseaux sociaux. Le franc-parler et les prêches musclés de ce religieux, ordonné prêtre en 2009 puis nommé évêque en 2011, lui valent des dizaines de milliers de vues sur YouTube, jusqu’à 25 millions de vues sur TikTok, et quelque 154.000 abonnés sur Instagram. Depuis son lit d’hôpital ce jeudi, l’évêque, dont l’état est désormais stable après avoir subi une intervention chirurgicale, a utilisé ses premières forces pour publier une nouvelle vidéo. Dans cette première prise de parole depuis son attaque, il dit «pardonner» à son agresseur. «À celui qui a commis cet acte, je lui dis: “Tu es mon fils”. Je t’aime et je prierai toujours pour toi. Et celui qui t’a envoyé faire cela, je le lui pardonne aussi», déclare l’ecclésiastique à la longue barbe blanche.
Ses prêches en ligne parlent autant de prière et de relation à Dieu que de sujets plus sociétaux. L’évêque y tient des propos clairement conservateurs. Il condamne tour à tour le mariage homosexuel, les revendications transgenres, critique les Nations unies et Bill Gates, affirme que Donald Trump est «le seul espoir» de l’Amérique. Une position qui, défend-il, n’a «rien à voir» avec le candidat républicain lui-même, mais «avec le Seigneur Jésus», puisqu’il le reconnaîtrait comme le «seul vrai Dieu», ramènerait la Bible dans les écoles et «mettrait fin aux absurdités LGBT». Des propos qui n’engagent que le prêtre lui-même depuis qu’en 2014, il s’est séparé de l’église assyrienne pour des raisons doctrinales, et a créé la sienne propre.
Son franc-parler n’épargne pas l’islam que l’évêque critique sans aucun euphémisme. «Nous ne pouvons pas revendiquer quelque chose qui n’est pas vrai», affirmait-il encore en décembre dernier dans un podcast en ligne. «Je sais que la vérité blesse, je n’offense pas les gens, je dis la vérité. Si cela vous offense… je n’en suis pas désolé», déclarait-il tout à trac. Dans un récent sermon en mars, l’évêque avait également déclaré avoir «point d’interrogation avec la foi du monde islamique», tout en affirmant son respect pour les musulmans, avec qui il redisait n’avoir «pas de problème». Depuis le début de la guerre à Gaza, le religieux a aussi pris la défense de la population palestinienne bombardée.
Anti-vaccin
En Australie où le politiquement correct domine, ce discours détonne. Depuis trois jours, la presse australienne parle ainsi de la victime comme d’une personnalité aux propos «inflammables» (the Sydney Morning Herald), souligne son passif de «militant anti-mariage gay», et ses liens avec un mouvement chrétien d’extrême droite australien Christian Lives Matter, descendu dans la rue en 2017 pour s’opposer au Mariage pour Tous.
Dans son quartier, l’évêque est extrêmement populaire. «Les gens l’aiment», déclare Christian, «il a aidé tant de personnes dans notre communauté et dans chaque communauté. Il a amené les jeunes à l’église, il a abordé les questions sociales, il est au top de tout», témoigne ce fidèle assyrien auprès de la BBC. Les quartiers ouest de Sydney abritent, outre une forte communauté assyrienne, la plupart des migrants et réfugiés de la ville. Ainsi selon la radio publique britannique, plus de la moitié des habitants de la zone sont nés en dehors de l’Australie.
Dans ces quartiers, pendant la période Covid, la notoriété de l’évêque a notamment bondi après ses propos suspicieux sur le vaccin, les mesures de confinement et le rôle des «grandes sociétés pharmaceutiques» ou encore de l’OMS, qu’il qualifiait de «fraude». Ces propos ont trouvé une résonance particulière alors que le quartier faisait l’objet de contraintes sanitaires plus strictes que dans le reste de la ville, ce que la population a vécu comme une injustice.
Des émeutes intercommunautaires
Dans le quartier, l’attaque a profondément ébranlé la communauté assyrienne. Dès lundi soir, des centaines de personnes ont envahi les rues autour de l’église, réclamant, selon plusieurs médias, qu’on leur remette l’adolescent. Des affrontements ont éclaté toute la soirée. La police a annoncé que 51 agents ont été blessés dans les émeutes, dont un hospitalisé, 20 véhicules de police endommagés et 10 rendus inutilisables.
Le père de l’assaillant, se disant «choqué» de l’acte de son fils dont il ignorait la radicalisation, a cherché refuge dans une mosquée cette nuit-là. Les dirigeants de plusieurs mosquées auraient, selon la BBC, reçu des menaces.
«Nous avons quitté nos pays pour venir dans ce pays, demandant la liberté, demandant le respect des autres, nous sommes choqués», témoigne Joseph, également prêtre et ancien collègue de Mar Mari Emmanuel. Car cette branche de l’église d’Orient, originaire de la plaine de Ninive en Irak, a été la cible de l’État islamique voilà dix ans, déclenchant la fuite de la quasi totalité de ses fidèles. En Australie vivent désormais près de 40.000 Assyriens selon la BBC.
Fait surprenant : deux mois auparavant, Mar Mari Emmanuel avait comme prédit son attaque. L’évêque avait affirmé avoir reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux, notamment une vidéo dans laquelle un homme l’aurait menacé de mort. «Je remercie la personne qui a réalisé cette vidéo. Je ne savais pas que j’allais mourir dans deux semaines», avait ironisé l’ecclésiastique. Sans se laisser impressionner toutefois, il avait affirmé être «excité» à l’idée de rejoindre bientôt «son Seigneur» plutôt que de «rester dans ce monde».