Expérience – Au sortir de leurs études, certains jeunes diplômés décident de ne pas se précipiter dans la recherche d’un emploi, mais plutôt de consacrer les derniers mois de leur cursus à planifier, économiser et se préparer pour un long voyage.
« Besoin d’une coupure après des années d’études parfois éreintantes, désir de faire le point sur soi et sur ses envies, soif de grands espaces, de découvertes, d’immersion dans d’autres cultures… » Les raisons qui poussent ces jeunes à entreprendre un long voyage sont multiples. Et le moment semble idéal pour ces jeunes adultes : juste après la fin de leurs études, avant de se lancer dans la vie professionnelle. Alors que par le passé seuls les jeunes aristocrates pouvaient effectuer leur Grand Tour à travers l’Europe, aujourd’hui le voyage long est devenu plus accessible. Souvent, grâce à des économies réalisées pendant un stage en alternance ou en cumulant études et travail. Pourquoi sont-ils partis, comment se sont-ils organisés, qu’ont-ils appris… Le Lesoir a rencontré quatre jeunes qui ont franchi le pas.
« Le plus dur, c’est de se lancer »
Mathis Pinos, 24 ans, diplômé de la Grenoble École de Management
« Le plus dur, c’est de se lancer ». Fin 2023, après un stage en alternance dans le domaine de la conformité à BPI France et un diplôme d’une école de commerce grenobloise en poche, Mathis Pinos se lance. Près d’un an avant la fin de ses études, il a commencé à économiser pour partir trois mois en voyage en Amérique du Sud. Son budget : 4500 euros. Ayant déjà visité l’Équateur où une partie de sa famille vit, il souhaite découvrir le reste du continent. Le voyage en Chine prévu pendant ses études, annulé en raison de la pandémie de Covid-19, lui a laissé un goût amer. Il voit ce voyage comme une opportunité de changer d’air après six années d’études « très intenses » (y compris une classe préparatoire aux grandes écoles) : « Une fois sur place, j’ai réalisé à quel point j’avais besoin de cette pause. »
Avant son départ, il n’a fixé que ses points de départ et d’arrivée ainsi que quelques sites incontournables comme le Machu Picchu et le désert d’Atacama (Chili). « Je voulais vraiment avoir l’esprit libre et ne pas suivre un itinéraire prédéfini ». Au fil des rencontres et selon ses envies du moment, il traverse la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili, le Paraguay, l’Argentine et l’Uruguay en trois mois. Parfois confronté à des situations délicates : des retards de bus, des intempéries l’obligeant à reporter des excursions et à modifier son itinéraire au dernier moment, évitant de justesse les grèves ayant touché le Machu Picchu… Des obstacles qui ont valu des souvenirs inoubliables : « Une journée passée à se battre contre des bus en retard aurait pu me faire manquer le coucher de soleil depuis l’Isla del Sol, sur le lac Titicaca. Mais aujourd’hui, c’est l’une des plus belles images que je garde en mémoire. »
« Plus qu’un voyage, c’est une période d’apprentissage sur soi »
Constance Lardier, 24 ans, consultante en relations presse
Constance a opté pour l’Amérique du Sud après la fin de son stage en alternance en 2022. Avec son partenaire, ils ont planifié un voyage de quatre mois en Argentine et au Chili et ont commencé à économiser un an avant leur départ. Au total, ils ont mis de côté 10 000 euros pour leur périple. « Les blogs, forums de voyageurs et les groupes Facebook comme ‘Les Français à…’ ont été essentiels pour établir notre budget, s’informer et même rencontrer des gens sur place », souligne-t-elle.
Ils ont alterné entre le wwoofing, où ils étaient logés et nourris en échange d’aide à des tâches, et la découverte du pays par eux-mêmes. Mais même avec ce mode de voyage, elle assure que « sans l’alternance, cela n’aurait pas été possible. Mon partenaire est viticulteur, il travaillait déjà ». La région n’a pas été choisie au hasard, le couple voulait notamment découvrir les vignobles sud-américains.
« La question de partir s’était déjà posée entre ma licence et mon master… Mais je me suis sentie plus mature à la fin de mes études. » Pour Constance, il n’y a aucun doute : « C’est le moment parfait pour entreprendre un tel voyage. Nous sommes suffisamment matures pour tirer le meilleur parti du voyage, pour en apprendre davantage sur nous-mêmes. En fait, c’est bien plus qu’un voyage, c’est une période d’apprentissage sur soi. »
En rétrospective, elle qualifie l’expérience comme une « étape importante » de sa vie. Le voyage de longue durée, et en particulier le wwoofing, a permis au couple de vivre une immersion totale et un dépaysement complet. Constance se souvient : « Nous avons eu la chance de préparer Noël en famille, d’aider à décorer leur sapin en portant des t-shirts en plein été. »
« Je me suis laissée porter, un mode de voyage qui m’a beaucoup plu »
Dorine Darroman, 24 ans, cheffe de projet digital
Dorine a trouvé dans son voyage de quinze mois à travers l’Australie et l’Asie après un master en alternance à l’ISCOM, un moyen de se découvrir davantage. Malgré l’appréhension courante d’un tel voyage avant de plonger dans la vie professionnelle : « Il y a cette crainte du trou dans le CV, la peur de prendre du retard par rapport à ceux qui auraient commencé à travailler dès l’obtention de leur diplôme… » Elle admet que ce voyage lui a appris que « si une opportunité vous échappe, c’est qu’elle n’était pas destinée à vous. »
Elle a tenu à voyager seule. « Je ne voulais pas partir avec des amis et risquer de m’enfermer dans un duo ou un trio. » Cela lui a permis de découvrir son côté aventurier et de tisser des liens profonds. Sur place, elle a notamment rencontré une française avec qui elle a développé une belle relation. Ensemble, elles ont entrepris un road-trip de Brisbane à Cairns, « sans vraiment rien planifier, en vivant au jour le jour. » Elle insiste sur l’importance de se laisser porter : « C’est, à mon avis, la différence entre un voyage et des vacances… Et c’est un mode de voyage qui m’a beaucoup plu. »
« Dans un voyage comme celui-ci, il faut être capable de s’adapter, de bifurquer »
Victoria Guillomon, 25 ans, auteure, conférencière et animatrice d’un podcast
Victoria a décidé de se laisser porter lors de son voyage de six mois en Inde et en Asie. Pourtant, elle est partie avec un projet précis : diplômée d’un master en finance et en audit, elle a choisi cette région du monde pour tourner un documentaire sur l’accès à l’eau, coécrit avec Johan Reboul (créateur de contenus derrière la page Instagram Le Jeune Engagé). Ensemble, ils ont économisé un total de 100.000 euros pour la réalisation de leur film. « À part l’écriture du documentaire, sur place, nous nous sommes laissés guider par les rencontres que nous faisions. » Après un voyage au Rajasthan à l’âge de 18 ans, elle s’était juré de retourner en Inde, mais pas en avion par respect de l’environnement. Et avec un projet qui a du sens.
Leur périple jusqu’en Inde a duré trois mois, passant par la Turquie, la Grèce, l’Égypte, l’Arabie saoudite et Oman. Sur place, ils ont exploré le Tibet, la Chine, le Népal, la Mongolie, la Russie, entre autres. Le seul trajet en avion nécessaire était le passage d’Oman à l’Inde : « Tous les bateaux nous disaient que c’était considéré comme du trafic d’êtres humains, qu’il y avait de la piraterie, que c’était dangereux… Nous avons dû prendre l’avion, regrette Victoria. Dans un voyage comme celui-ci, il faut être capable de s’adapter, de bifurquer. C’est inconfortable sur le moment, mais tout finit toujours par s’arranger. » Son conseil pour ceux qui envisagent de se lancer : ne pas craindre l’inconnu. « Ce type de voyage nous ouvre tellement de perspectives, nous donne tellement d’idées que nous n’aurions jamais eues en restant chez nous… Si vous en avez envie, ne posez pas trop de questions, et partez simplement! »