Un millier de jeunes hommes en noir précèdent un fort groupe de femmes voilées qui chantent des « Allahou Akbar ». La manifestation a été officiellement déclarée. Axel Heimken /DPA/AFP
CHRONIQUE – Ne riez pas ! C’est ce que réclame avec le plus grand sérieux une partie importante de la communauté musulmane établie outre-Rhin.
Muslime schweigen nicht ! » (Les musulmans ne sont pas silencieux !) La pancarte est brandie en nombre, l’autre samedi, quand les islamistes de l’organisation Muslim Interaktiv, constituée en 2020, manifestent dans l’une des avenues du quartier Saint-Georges (Sankt Georg) à Hambourg. Un quartier déjà célèbre pour sa communauté gay qui y parade chaque année. Les islamistes ont décidé d’y occuper la rue à leur tour, en portant des sweats à capuche, en brandissant des banderoles en arabe et pas seulement en allemand : « Le califat, c’est la solution. » Un millier de jeunes hommes en noir précèdent un fort groupe de femmes voilées qui chantent des « Allahou Akbar ». La manifestation a été officiellement déclarée. Elle est même encadrée par la police municipale ; il n’y aura pas d’incident.
Une ligne rouge pour la démocratie
Le leader du défilé est à l’image de la population qui s’est rassemblée derrière lui. Ce ne sont pas des immigrés récents qui occupent les premiers rangs, mais des descendants de la deuxième, de la troisième, voire de la quatrième génération de l’immigration turque qui ont fait souche en Allemagne. Ces jeunes allemands de confession musulmane ont grandi dans la République fédérale. Ils sont mieux éduqués, mieux formés, que leurs aînés. Ils ne sont plus assignés à résidence dans un quartier populiste de la Ruhr ou de Berlin. Ils réclament l’égalité devant la loi et l’égalité des chances. Ils estiment que la mosquée doit être érigée dans la cité avec le cimetière musulman et l’école coranique, sans susciter d’émoi.
Les journalistes hésitent à les appeler des musulmans modérés, de peur d’en faire des musulmans de seconde classe. Disons plutôt qu’ils sont démocrates, qu’ils considèrent que la démocratie et l’économie de marché sont leurs armes pour obtenir la reconnaissance sociale et économique qui fait qu’ils ne seront plus suspects simplement parce qu’ils ont une barbe et qu’ils sont bronzés. Ils ont compris le piège qui avait été tendu à leurs aînés par le mouvement des Frères musulmans ou par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Ils ne veulent pas « d’Islam politique » ou d’« Islam toast », ils prétendent que leur vie politique doit être déterminée par les règles de la démocratie, par le vote secret, par le vote des femmes, par l’élection des maire, par les partis politiques.
Il est bien sûr impossible d’ignorer que cette jeunesse des banlieues a été durablement marquée par le conflit en Syrie. La guerre, l’État islamique, Bachar al-Assad, les milliers de morts, les dizaines de milliers de déplacés, tout cela a été filmé, en temps réel, par les réseaux sociaux, a été commenté par les amis, a été expliqué par les prêches, ces jeunes ne sauraient oublier leur famille là-bas, les messages qu’ils reçoivent de la Syrie ouiraq, de la Syrie turque, de la Syrie d’Assad. La propagande des uns nourrit le ressentiment des autres. Une petite minorité s’est radicalisée et se dit prête à se battre pour sa foi, pour la victoire de l’islam, pour la chute des croisés. Une autre minorité s’est radicalisée aussi, mais à l’envers, elle réclame la fermeture des frontières, la fin de l’immigration, l’interdiction des mosquées.