Silhouette élancée et mystérieuse, portant une fière allure, le regard à la fois rêveur et espiègle, cette architecte d’intérieur incarne le retour à une élégance rigoureuse, exigeante mais néanmoins pleine de charme. Créatrice d’un mobilier et de décors raffinés, elle s’impose comme la star du moment.
Comme dans le domaine de la mode, de la musique ou de la littérature, les arts décoratifs sont marqués par des femmes fortes, confiantes en leurs intuitions, charismatiques et inspirantes. Leur présence capture l’esprit de leur époque, parfois même le prévoyant. Ainsi, à rebours du style Louis XVI, Madeleine Castaing (1894-1992) a su imposer après-guerre ses variations du néoclassicisme du XIXe siècle mêlé de romantisme à l’anglaise. Andrée Putman (1925-2013) a ressuscité le modernisme radical des années 1930 au tournant des années 1980. Cordelia de Castellane a récemment participé au retour des décors romantiques sucrés.
Changement d’époque, Marie-Anne Derville fait une entrée fracassante dans le petit monde feutré de la haute décoration, renversant les conventions établies, nettoyant les intérieurs à fond et mettant en valeur quelques objets précieux. « Less is more! » lance-t-elle. « J’ai le goût de la simplicité, des lignes pures, des intérieurs épurés. Mais j’apprécie également le faste! Tout repose sur des contrastes, des résonances entre les objets, sans contraintes d’unité stylistique ou de carcan historique. Je peux apprécier un siège curule Empire autant qu’un tirage photo de Wolfgang Tillmans, le tout est de savoir les faire cohabiter. C’est mon métier… » Marie-Anne Derville exerce également en tant que scénographe d’expositions et accompagne ses clients collectionneurs de mobilier. « J’ai toujours été un peu en marge, pas très intéressée à entrer dans un moule… »
Issue d’une dynastie industrielle du Nord, la benjamine de quatre filles, a grandi entre Reims, Turin et Dijon, au gré des affaires de son père. « J’ai vécu ce qu’on appelle une enfance bourgeoise dans des villes de province, rythmée par les visites de musées, d’églises et d’institutions culturelles comme le Consortium de Dijon qui m’a beaucoup marquée. Mais je voulais m’ouvrir au monde, j’écoutais du rap à fond dans la baraque! » Elle est partie à Paris, a travaillé au Palais de Tokyo, à l’émission « Tracks » d’Arte dédiée aux cultures émergentes, puis chez Phaidon. À 27 ans, une rencontre a bouleversé son destin : elle a commencé à travailler avec l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch en tant que décoratrice. « Pierre n’était pas très amateur de motifs, ce sont plutôt les pièces Art déco, surtout scandinaves, qui attiraient son attention. Grâce à lui, j’ai été en contact avec les meilleurs antiquaires, galeries et maisons de vente. Il m’a initiée au monde plutôt fermé du marché de l’art. Une formidable école! Et puis l’agence étant en pleine expansion, je passais d’un projet à un autre, c’était très excitant. Nous partagions beaucoup de choses. »
Arrive le confinement, puis une romance en Italie et l’envie d’exprimer son univers. En 2021, Marie-Anne Derville se lance, avec comme premier projet sa propre décoration intérieure parisienne, conçue par Andrée Putman autour de 1990 à l’hôtel d’Hallwyll, bâtiment signé Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806). Plus chic, tu meurs ! Elle ose les mélanges entre Art déco et pièces des années 1980, partagés sur son compte Instagram. En 2022, elle conçoit la scénographie de l’exposition « Anna-Eva Bergman, Edvard Munch. Une cosmologie de l’art » à la Galerie Poggi, basée sur une extension des textures et couleurs des œuvres des artistes sur les murs pour bouleverser les standards du white cube des espaces artistiques. Des pièces scandinaves du début du XXe siècle viennent ponctuer les salles. Même scénario chez Dina Vierny en octobre 2023, où elle confronte du mobilier contemporain à des toiles de Matisse (1869-1954), Dalí (1904-1989) ou Poliakoff (1900-1969) ayant appartenu à la célèbre galeriste. En janvier dernier, lors de la Paris Design Week, elle a présenté sa première collection de mobilier rigoriste, éditée par la galerie italienne Giustini/Stagetti.
Sa carrière étant désormais sur orbite, elle travaille actuellement sur un projet d’appartement rive gauche pour un collectionneur d’art français, ainsi que sur un duplex new-yorkais destiné à un producteur de hip-hop. « C’est toujours la poésie des lieux qui me guide, la fantaisie d’un projet. Je ne suis pas technicienne en matière de décoration, je suis plutôt dans l’émotion. C’est à la fois mon défaut et ma qualité. »