INTERVIEW – La chercheuse primée par le Prix « For Women in Science » décerné par l’Unesco et la Fondation L’Oréal a consacré sa carrière à comprendre comment notre ADN est «rangé» dans le noyau de nos cellules. Un travail qui commence à avoir des applications concrètes dans le diagnostic et le traitement de certains cancers.
Geneviève Almouzni, directrice de recherche au CNRS et à l’Institut Curie, vient de recevoir le prestigieux Prix « For Women in Science » aux côtés de quatre autres femmes scientifiques, décerné chaque année par l’Unesco et la Fondation L’Oréal. Cette dotation de 100 000 euros permettra le financement de projets de recherche menés à l’Institut Curie. La lauréate a répondu aux questions du Lesoir pour partager son parcours et ses découvertes.
Le Lesoir : Quel est l’objet de vos recherches ?
Geneviève Almouzni : Mes études se concentrent sur l’organisation de l’ADN dans le noyau des cellules. Il est important de savoir que toutes nos cellules contiennent la même séquence d’ADN. Pourtant, chaque cellule est unique. Par exemple, une cellule de peau diffère d’une cellule cardiaque. Cela s’explique par le fait que l’ADN est similaire à une partition musicale, jouée de manière différente selon les types de cellules. La façon dont le code génétique est organisé dans le noyau cellulaire influence la manière dont il est lu. Mon travail consiste à comprendre comment l’ADN est empaqueté dans le noyau grâce à des histones, de petites protéines.
Existe-t-il des applications concrètes à vos recherches ?
L’organisation de l’ADN contribue au maintien de l’identité cellulaire. En cas de cancer, cette organisation est perturbée. Comprendre les mécanismes qui préservent cette organisation permet d’améliorer les diagnostics et les traitements de certains types de cancer. Par exemple, nous avons constaté que des mutations d’histones jouent un rôle clé dans certains cancers pédiatriques du cerveau. Ces mutations permettent des diagnostics plus précis. Pour les cancers de la tête et du cou, la présence de certains éléments est un indicateur de l’efficacité potentielle du traitement. Ces recherches sont toujours en cours.
Comment avez-vous vu évoluer votre domaine de recherche, la biologie moléculaire, au fil des années ?
Cela fait environ trente ans que je travaille dans le domaine de la chromatine, la structure qui contient l’ADN. Quand j’ai commencé, peu de personnes s’intéressaient à ce sujet. Cependant, au cours des années 2000, l’intérêt a grandi avec l’arrivée de nouveaux outils de séquençage et des approches permettant de caractériser les histones. La communauté scientifique a découvert l’impact de l’organisation du génome sur l’ADN.
Pouvez-vous nous décrire une journée type de travail et son évolution depuis vos débuts ?
En tant que jeune chercheuse, je passais mon temps à réaliser des expériences en laboratoire. Aujourd’hui, en tant que directrice, mon rôle est davantage de superviser et d’accompagner mon équipe, de rédiger des articles avec mes collègues et de définir les projets à mener. Je ne réalise plus les expériences moi-même, mais je reste très impliquée dans celles menées par mon équipe.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir scientifique ?
Je n’ai pas grandi dans une famille de scientifiques. Cependant, dès mon enfance, j’étais fascinée par la nature et notamment par l’évolution des oeufs de grenouille en grenouilles. Cette curiosité a été stimulée par mes enseignants en biologie et m’a finalement conduit à embrasser cette voie professionnelle.
Quelle est votre plus grande réussite professionnelle ?
Je suis très fière des réussites de ceux que j’ai formés, c’est une grande satisfaction pour moi.
Avez-vous des regrets ?
Non, je suis reconnaissante d’avoir eu l’opportunité de mener à bien mes recherches. Je souhaite encourager d’autres personnes, en particulier les femmes, à s’engager dans ce domaine. Recevoir ce prix est un honneur pour moi. Malheureusement, seulement 30% des scientifiques sont des femmes. Il faut faire mieux.
Comment le financement de la recherche académique a-t-il évolué depuis vos débuts ?
Les financements, notamment via l’Agence nationale de la recherche, sont présents, mais nous cherchons toujours des moyens de financer nos projets. C’est un domaine très compétitif et il reste beaucoup à faire. De nombreux chercheurs talentueux ne trouvent pas de financements, et il est important de les soutenir. Il est également important de faire revenir les jeunes chercheurs brillants qui ont quitté le pays.