FOCUS – La dissolution surprise de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron dimanche 9 juin pose plusieurs questions sur le fonctionnement parlementaire français.
Dimanche, la liste menée par l’eurodéputé et président du Rassemblement national Jordan Bardella est arrivée en tête du scrutin européen, remportant 31,37% des suffrages, selon les derniers résultats provisoires publiés par le ministère de l’Intérieur. Cela représente une avance considérable sur la liste du parti présidentiel dirigée par Valérie Hayer (14,6%), celle de Raphaël Glucksmann (13,83%) ou encore celle de La France insoumise (9,89%).
Immédiatement après l’annonce des résultats, Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation prochaine d’élections législatives anticipées, les dimanches 30 juin et 7 juillet.
Quelles sont les dispositions constitutionnelles concernant la dissolution ?
La dissolution de la chambre basse est autorisée par l’article 12 de la Constitution, qui prévoit que « le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ». Selon le constitutionnaliste Guillaume Drago, cette décision reflète un « pouvoir propre et spécifique du président » car il s’agit d’une décision « libre ».
L’article 12 précise également que les élections générales doivent avoir lieu « vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Comme l’explique le professeur de droit public, « Emmanuel Macron a donc choisi les délais les plus courts ». Le premier tour se tiendra en effet près de 21 jours après l’annonce du président. Cette dissolution entraîne également l’annulation automatique des projets et propositions de loi en cours à l’Assemblée ainsi que des commissions d’enquête en cours.
Après les élections, la nouvelle Assemblée nationale devra se réunir de plein droit « le deuxième jeudi qui suit son élection », comme l’indique encore la Constitution. Selon la professeur émérite de droit public Anne-Marie Le Pourhiet, il s’agit d’un calendrier visant à assurer la sécurité et la tranquillité.
Que va-t-il se passer pour le Sénat et le gouvernement ?
« La chambre basse étant en panne, les sénateurs vont également reculer. Ils peuvent continuer à travailler mais pas sur des textes législatifs », explique Anne-Marie Le Pourhiet. En l’absence d’Assemblée nationale, la navette parlementaire ne peut plus fonctionner. Selon le constitutionnaliste Didier Maus, « il est donc d’usage que le Sénat attende que les députés reprennent leur travail ».
Quant au gouvernement, « il n’est plus responsable car il n’y a plus de députés, il ne peut donc pas engager le pays », poursuit la spécialiste Anne-Marie Le Pourhiet. « Il gérera donc les affaires courantes en attendant la formation d’un nouveau gouvernement après les élections législatives ».
Les contraintes liées aux candidatures sont-elles respectées ?
Selon l’article L-157 du Code électoral, « les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin ». Dans le cas des élections législatives anticipées, ces délais ne peuvent être respectés. Un décret présidentiel publié ce lundi a donc décalé les dates de dépôt des candidatures entre le mercredi 12 et le vendredi 16 juin, 18h.
« La Constitution l’emporte sur les dispositions du Code électoral en ce qui concerne les délais », commente Anne-Marie Le Pourhiet. « La Constitution permet ces délais raccourcis en prévoyant que la dissolution peut avoir lieu 20 jours après l’annonce du président de la République ».
Cette situation n’est pas nouvelle. En 1981 et en 1988, le Conseil constitutionnel avait déjà affirmé que les dispositions constitutionnelles doivent primer sur les dispositions législatives du code électoral en ce qui concerne les délais de campagne électorale et de dépôt des candidatures.
Cette dissolution va-t-elle renforcer le pouvoir de l’Assemblée nationale ?
En convoquant de nouvelles élections législatives, le président désynchronise les élections législatives et présidentielle, qui se sont tenues successivement depuis 2002 avec le passage au quinquennat. « Quand l’Assemblée est alignée sur le président, le pouvoir exécutif se déplace de Matignon à l’Élysée. Mais s’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée, le pouvoir exécutif revient à la chambre basse », explique Anne-Marie Le Pourhiet. Avec cette dissolution, l’exécutif risque en effet de perdre sa majorité parlementaire, nécessaire pour légiférer. Le président prend donc le risque d’une cohabitation avec une majorité parlementaire opposée.
« C’est toute l’ambiguïté du régime de la Ve République. C’est un régime essentiellement parlementaire. Les élections législatives sont ‘l’élection reine’ car elles déterminent le lieu de pouvoir », souligne la spécialiste. Si les prochaines législatives donnent une majorité relative au Rassemblement National, l’Assemblée nationale aura incontestablement plus de pouvoir en s’opposant au président.
Après la prochaine présidentielle, le nouveau président élu pourra à son tour dissoudre l’Assemblée pour retrouver un calendrier superposant la présidentielle et les législatives. « Sous la Ve République, le président est tantôt zéro, tantôt Zorro », conclut la spécialiste.
Fin.