Le royaume de Twitch: le streaming en direct et la bataille pour les revenus
Le service américain, dont la convention TwitchCon Europe ouvre ses portes ce week-end, est dominé par une poignée de créateurs de contenus qui accaparent l’attention des spectateurs. Son modèle de partage de revenus est également l’objet de débats.
« La création de contenu demande beaucoup de travail, ce n’est pas propre à Twitch », souligne Mike Minton, responsable de la monétisation chez Twitch. La plateforme de vidéo en direct ouvre les portes de sa grand-messe annuelle, la TwitchCon Europe, ce samedi à Rotterdam après s’être rendue à Paris l’an passé. Cette convention, où les fans peuvent rencontrer leurs « streamers » favoris et assister à des tables rondes, s’ouvre dans un climat tendu. Aujourd’hui, le service peine à attirer de nouveaux créateurs de contenus, et son modèle de rémunération, souvent remis en question, n’y est pas pour rien.
En position de quasi-monopole, Twitch compte plus de 35 millions de visiteurs quotidiens pour 7 millions de streamers qui se filment en direct à travers le monde, dont 59 000 en France. Mais une poignée de figures de proue, comme Gotaga, Domingo ou Kameto, attirent la majorité des spectateurs français. Il devient ainsi de plus en plus compliqué pour de jeunes créateurs de se faire une place dans cet écosystème rempli de superstars : plus de 90 % des streamers sont regardés par moins de six spectateurs, observe le média américain Wired.
Les créateurs de contenus sur Twitch forment une pyramide, où, au sommet, seuls quelques rares chanceux peuvent se rémunérer et engranger toujours plus de vues.
Tout en bas, ceux avec le plus petit public streament en majorité pour leurs amis ou d’occasionnels inconnus. Ils passent parfois de longues heures à diffuser sur la plateforme pour tenter de se faire remarquer des internautes. L’onglet « Parcourir », sur la page d’accueil de la plateforme, ne met en effet en avant que les créateurs qui sont actuellement en direct.
Interrogé sur la question du burn-out chez ses créateurs, Mike Minton de Twitch se veut rassurant : « nous en sommes conscients, et nous continuons de travailler pour faciliter la réussite des streamers sans qu’ils ne passent des heures et des heures en live ». La plateforme évoque sa fonction de recommandations personnalisées, où l’algorithme sélectionne « les chaînes live qui pourraient vous plaire ». Twitch martèle qu’il arrive « tous les jours » que de nouveaux créateurs se distinguent. Chaque année, ils sont ainsi des milliers à obtenir le statut « d’affiliés », qui ouvre notamment la porte aux outils de monétisation.
Mais il y a un paradoxe : les streamers qui arrivent à se faire remarquer sur Twitch ont bien souvent construit leur communauté en amont, sur d’autres plateformes sociales. « Aujourd’hui si vous voulez percer, moi je vous conseille tous TikTok. Twitch il y a tellement de streamers pour tellement peu de parts de gâteau », note ainsi le streamer Gotaga dans une vidéo YouTube. « Même ceux qui arrivent entre guillemets de nulle part, ils ont un ‘background’. Amine et Billy sont arrivés d’un coup et se sont installés tranquillement dans les top streamers, mais ils avaient autre chose qu’ils ont transformé ». Ces deux streamers phares de la plateforme étaient en effet des stars de Twitter, où ils ont réuni des communautés très engagées.
Twitch a pourtant plus que jamais besoin de ses créateurs. En janvier dernier, elle annonçait supprimer 500 postes, soit plus d’un tiers de ses effectifs. Quelques mois avant, elle licenciait déjà 400 personnes. Il faut dire que son modèle économique patine.
Axé sur la publicité, les abonnements payants et les envois d’argent aux streamers sur lesquels la plateforme prélève une commission, le programme de rémunération des créateurs de contenus ne cesse d’évoluer. En 2022, Twitch avait annoncé qu’il prélèverait 50 % sur les revenus générés par les streamers stars, ce qui avait provoqué une levée de boucliers chez des créateurs parmi les plus appréciés, comme Zerator.
Twitch affiche désormais un cap clair : le partage des revenus est de 70 % pour les streamers, et 30 % pour la plateforme américaine. Ce qui est trop pour nombre d’entre eux. « C’est devenu impossible de vivre de Twitch, la plateforme est désormais beaucoup trop concurrentielle pour obtenir un salaire décent » assurait ainsi en juillet 2023 le streamer KC Necro au Lesoir.
Pour attirer plus de créateurs « inconnus » sur sa plateforme, mais aussi pour contrer ces départs, Twitch a élargi son programme de monétisation en revoyant ses critères d’éligibilité à la baisse, permettant à plus de streamers d’en bénéficier. « Les créateurs nous ont toujours demandé une meilleure rémunération. Nous essayons donc d’augmenter nos propres revenus pour que les streamers puissent avoir une plus grosse part du gâteau », glisse Mike Minton.
Chaque mois, plus de 1,8 milliard d’heures de contenus sont diffusés sur Twitch, mais les frais pour assurer le bon fonctionnement du service sont très importants. La plateforme américaine mise donc plus que jamais sur la publicité, source de revenus importants. « Nous voulons que Twitch soit un bel environnement pour les annonceurs. En ce sens, le contenu sensible leur est signalé pour qu’ils puissent choisir où leur publicité sera diffusée », rappelle le service vidéo. Mais les coupures publicitaires, qui peuvent survenir à n’importe quel moment lors d’un direct, a longtemps été un point de crispation chez les spectateurs et les créateurs. Twitch le martèle pourtant : « la publicité est très importante pour les streamers ».
Autre écueil, « même si c’est plus facile qu’avant, il faut encore convaincre les annonceurs de faire des investissements sur Twitch », relève Arthur Kannas. Car lors des événements live, il y a beaucoup moins de contrôle. Twitch comporte donc toujours une petite part de risque pour l’image d’une marque, tout autant qu’elle « séduit car elle réunit le bénéfice de la télévision et les avantages des réseaux sociaux » grâce à son interactivité. L’arrivée, depuis avril, de la publicité sur la plateforme vidéo Amazon Prime pourrait ouvrir la voie à des offres couplées pour les marques. De quoi, peut-être, lever leurs réserves.