DÉCODAGE – Abonnés créés par l’intelligence artificielle, faux directs avec des célébrités… Avec cette application, de parfaits inconnus s’inventent une vie de superstar.
« Je pense que Drake vient de se joindre à notre live ! ». Au beau milieu d’une soirée à Miami, l’influenceur Ethan Keiser se vante auprès d’étrangers en leur montrant à quel point il est célèbre sur les réseaux sociaux. À l’écran, les commentaires et les emojis défilent à toute vitesse, et le chanteur Drake fait une brève apparition pour dire bonjour avant de disparaître presque aussitôt. En réalité, ni Drake ni les « viewers » de l’homme ne sont réels. Ethan Keiser a lui-même créé Parallel Live Simulator, une application qui génère de faux directs sur Instagram ou TikTok pour se forger une « fausse célébrité ».
Les applications telles que Parallel Live rencontrent un grand succès. À elle seule, elle compte plus de 400 000 téléchargements sur l’App Store aux États-Unis, dont la moitié depuis janvier selon le cabinet Sensor Tower. Il existe une multitude d’autres applications similaires, dont Famefy et son million de téléchargements, dont la moitié également depuis le début de l’année. Une accélération notable. Et pour cause, la proposition est alléchante : avec leurs faux spectateurs, ces influenceurs prétendent pouvoir pénétrer dans des boîtes de nuit ou des restaurants chics, accueillis en vedettes.
Fonctionnalités payantes
« Cette application donne l’impression que des dizaines de milliers de personnes vous regardent. En un instant, je suis devenu la star de la soirée », explique l’influenceur américain ItsPoloKidd, tandis que des tonnes de commentaires, de « likes » et de dons défilent à l’écran sans relâche. Ces réactions sont en fait générées par une IA de reconnaissance vocale, capable de retranscrire automatiquement la parole en texte, et donc de réagir à ce que l’influenceur dit presque instantanément. La preuve en est lorsque le créateur de l’application rencontre une jeune femme nommée Emily lors d’une soirée. Les spectateurs semblent étrangement réactifs. « Salut Emily ! », « Emily est si jolie, j’aimerais être comme elle », peut-on lire sous la diffusion.
L’apparition éphémère du rappeur américain Drake est également un mirage, issue en réalité d’un ancien live que l’artiste a réalisé avec un comédien il y a plusieurs années. Faire un « live » avec Drake n’est pas une fonction disponible sur l’application, comme l’a noté le site spécialisé 404media, qui a pu tester Parallel Live. Et pour débloquer une fausse intervention du footballeur Cristiano Ronaldo, il faut débourser quelques dollars. Pour accéder à leurs différentes fonctionnalités, ces applications requièrent un abonnement et de multiples microtransactions. Il est également nécessaire de payer pour que de faux spectateurs vous offrent de faux cadeaux lors de votre faux direct, et il est possible d’ajouter un supplément pour augmenter le nombre de spectateurs IA. Pour accéder à la version « pro » de l’application, comptez 6,99 dollars par semaine, et l’abonnement annuel s’élève à 69,99 dollars.
Communauté de « dragueurs de rue »
Le créateur de l’application, Ethan Keiser, se décrit comme « l’ingénieur informatique le plus suivi sur TikTok » avec ses 1,3 million d’abonnés. Il s’est notamment vanté d’avoir créé un robot Instagram capable d’envoyer des messages privés à des utilisatrices, jour et nuit, sans interruption. Ses vidéos cumulent des millions de vues, et le public auquel s’adresse Parallel Live n’y est pas pour rien.
Sur TikTok et Instagram, ce type d’applications est promu par de jeunes hommes qui publient du contenu de type « prank » et « pick-up artist », une communauté d’hommes hétérosexuels qui aiment échanger leurs conseils et techniques de séduction. ItsPoloKidd a notamment gagné en popularité en publiant des vidéos où il courtise des femmes dans des lieux publics. Dans toutes ses publications, Ethan Keiser met en avant les visages impressionnés de jeunes femmes qu’il séduit en soirée, en insistant sur leur soif d’influence et de notoriété. Son Instagram fait également la promotion d’un livre électronique sur les techniques de drague.
Ces publications sont devenues virales sur les réseaux sociaux, bien que la plupart des internautes soulignent que l’utilisation de ces applications pour mentir, notamment aux jeunes femmes, est malsaine. Ainsi, un utilisateur d’Instagram souligne que « c’est amusant, jusqu’à ce que la fille te demande vraiment le nom de ton compte ».