Cette expression, loin d’être anodine, renvoie à toute une tradition socialiste issue de la Commune de Paris. Hier soir en me couchant, je me disais (…) pourquoi on n’aurait pas une coopérative politique qui permettrait, un homme, une voix, qu’on avance ensemble et qu’on fasse cause commune ? s’est demandé lundi, François Ruffin, sur France 2. À la suite de la victoire de la gauche aux élections législatives, arrivée en tête avec 184 sièges, cette coopérative politique voulue par François Ruffin interroge. Doit-on y voir un simple jeu sémantique, de la part de celui qui vient d’être réélu de justesse dans sa circonscription de la Somme (52%), ou y a-t-il derrière cette expression un véritable projet sociétal pour la gauche ?
Pour une démocratie directe
La politique, «ce ne sont pas que des institutions, ce ne sont pas que des ministères, ce n’est pas que l’Assemblée, il faut que le Nouveau Front populaire vive dans la société», a-t-il scandé. Mais si François Ruffin «ignore (encore) la forme exacte» que doit prendre cette organisation collective, comme il l’a exprimé ce mercredi au journal Le Monde, elle peut néanmoins se dessiner entre les lignes. Comme le précise au Lesoir un de ses anciens collaborateurs, «Ruffin n’a pas forcément en tête un modèle d’autogestion mais comme beaucoup à gauche, il est marqué par la Commune de Paris». Il ne s’agit pas de détruire les institutions, mais d’y injecter plus de « horizontalité » ajoute son collaborateur.
À écouter François Ruffin lui-même, elle reposerait d’abord sur la règle d’«un homme, une voix». Non pas une personnalité derrière laquelle se ranger, mais un modèle de démocratie directe où chaque individu a autant de voix qu’un autre. C’est sur cette égalité que repose toute coopérative. Face aux difficiles tractations des partis de gauche pour proposer un premier ministre, François Ruffin a proposé lors de l’émission C à vous, hier soir, de réunir «tous les députés du NFP». On ne doit sortir «de la salle que quand on s’est mis d’accord plutôt que cela ne se passe entre quatre personnes» a-t-il conclu. Par la suite, il a réitéré son souhait de mettre en place un Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), lui qui avait déjà déposé en 2023 un projet de loi RIC.
Que le peuple puisse directement modifier la Constitution, révoquer un élu, voter et abroger une loi, n’est-ce pas ce qu’a en tête François Ruffin lorsqu’il parle de cette coopérative politique ?
La Commune de Paris et les coopératives
Paris 1871. Deux mois après le siège de la capitale par l’armée prussienne, la classe populaire parisienne se soulève contre Adolphe Thiers qui doit gagner Versailles. L’insurrection refuse le gouvernement issu de l’Assemblée nationale constituante et s’organise sur le modèle d’une démocratie directe. C’est dans ce contexte que le décret du 16 avril 1871 confie la gestion des ateliers abandonnés à leurs salariés. Les syndicats ont la tâche de dresser la liste des ateliers abandonnés et «d’élaborer un projet de constitution de ces sociétés coopératives» et de réfléchir aux «conditions de cession définitive des ateliers aux sociétés ouvrières» comme l’indique le décret.
Comme le précise Marion Fontaine, professeur d’histoire à Science Po et spécialiste des mouvements ouvriers, «La question coopérative est néanmoins bien antérieure à la Commune de Paris. Les coopératives sont une des trois grandes formes d’organisation de la gauche, avec les syndicats et les partis.» Les coopératives ont pour objectif de permettre une vie économique et sociale qui s’organise pour acheter et/ou produire collectivement avant de répartir équitablement les gains de la production et de la vente.
C’est un modèle égalitaire où chacun bénéficie d’une part du travail collectif. Il y a beaucoup d’exemples mais on peut citer celui de la marque Lip dont les ouvriers ont repris la production de montres en 1973 alors que le directeur jugeait l’entreprise non rentable. Pourtant, «paradoxalement ses modèles supposent la paix civile. Et cette vision utopique de la gauche (au sens du courant de pensée) a souvent été mise en place de manière partielle, temporaire et extrêmement localisée» précise l’historienne. La commune n’a duré que 72 jours et à l’échelle d’une ville.
Une vision renouvelée de la politique
La question se pose alors de savoir si la coopérative n’est qu’une forme économique et sociale ou si elle peut appartenir aux formes politiques de l’avenir et contribuer à une société plus égalitaire. «Ce que je comprends de l’idée de Ruffin, c’est que la forme classique des partis, tel que la fin du XIXe siècle l’a structurée, n’est plus opérante. Il faudrait que les partis et les syndicats se restructurent sur le modèle de la coopérative» affirme Marion Fontaine. Pour la gauche, on peut alors envisager de vouloir changer la société ou «par le haut» via l’État (Marx), ou «par le bas» via les communes, les collectivités, les syndicats où l’État n’est seulement qu’un coordonnateur (Proudhon).
Marion Fontaine rappelle que, dès lors que la «manière de faire de la politique verticale arrive à épuisement», François Ruffin a raison de rappeler que la vie politique ne se réduit pas à la démocratie représentative. Elle peut également être réinvestie «par le bas» et de manière participative pour renouveler le débat public.