HORS DES SENTIERS BATTUS EN VACANCES : UN PARI À HAUT RISQUE ? (1/5) – Dans un univers du voyage standardisé, certains mettent un point d’honneur à essayer de sortir du lot. Hébergement, excursions, rencontres : ils tentent le diable, quitte à rater magistralement leurs vacances. Aujourd’hui, les kamikazes du Airbnb «atypique».
« Quand j’ai découvert Airbnb, au début des années 2010, c’était une alternative géniale à l’hôtel, une superbe opportunité d’immersion », se souvient François*, qui se considère comme un voyageur aguerri. « Mais, année après année, tout a fini par se ressembler, poursuit-il. On s’est lassé de tomber partout sur cette espèce de déco scandinave, donc on s’est mis à privilégier les annonces originales. C’était le début des tiny houses, roulottes, tipis… bref des hébergements un chouïa hippie, mais où tu as un minimum l’impression de vivre une aventure ».
Et l’avantage d’une hutte de 5m², c’est qu’on ne peut probablement pas y faire rentrer une enfilade suédoise.
«Sylvain Tesson de Seine-et-Marne».
« J’avais limite l’impression d’être un aventurier : le Sylvain Tesson de Seine-et-Marne, toujours entre deux yourtes », admet François. Jusqu’au « drame », en tout cas… Cet été-là, l’entrepreneur et sa femme s’envolent vers l’Oregon, sur la côte nord-ouest des États-Unis, où ils ont réservé une cabane perchée dans les arbres, une première. « Au premier coup d’œil, on remarque qu’elle est quand même à presque à 10 mètres du sol, c’est beaucoup trop haut !, intervient Marion, sa compagne. La passerelle qui y mène est un genre de pont de singe, avec des planches en bois et de la corde… ». La suite, aucun des deux protagonistes ne parvient à l’articuler sans hoqueter de rire.
De nuit et sous des trombes d’eau, Marion décide d’aller chercher son fil de chargeur oublié dans la voiture. Sur les derniers mètres la séparant de la terre ferme, elle dérape sur une planche mouillée et se retrouve l’avant du corps dans le vide, entre deux cordes mal ajustées de la rambarde. « J’ai essayé de me raccrocher et c’était pire, j’ai fini en position du cochon pendu sous la passerelle, à 2 mètres du sol », grince-t-elle. Bilan : entorse de la cheville et fracture du coccyx. Idéal pour un séjour mêlant road-trip et randonnées…
Agiter les bras en culotte
Heureusement, toutes les mésaventures Airbnb ne se payent pas au prix de l’intégrité physique des audacieux. Parfois, c’est simplement la psyché qui en prend un coup. C’est ainsi qu’Anne et Denis ont perdu dix ans d’espérance de vie en quatre jours dans une ferme mennonite du Belize rural, le long de la frontière mexicaine. « Les Mennonites ressemblent aux Amish, ils vivent comme au 18e siècle et se tiennent le plus loin possible de la technologie moderne. On s’est dit qu’on n’aurait pas deux fois l’occasion de voir ça de près », explique la voyageuse. Mais si les fermiers avaient réussi l’exploit de poster leur annonce via l’ordinateur d’un café local, ils n’avaient a priori que vaguement saisi le concept de la plateforme.
À l’arrivée du couple et après un rapide tour de la ferme proprette posée en plein no man’s land, les propriétaires leur ont tendu les clés et se sont engouffrés avec leurs huit enfants dans une bétaillère, direction l’autre bout du pays. Anne se rappelle sa stupéfaction : « Ils nous ont dit ’Nous, on part à la Bible School, et lui, c’est notre pitbull, il vous protègera car c’est un peu dangereux ici. Fermez bien les volets dès la tombée de la nuit et attention aux voleurs de bétail !’. C’est là qu’on a compris qu’ils avaient pris Airbnb pour un service de gardiennage… »
Bruits étranges
Quatre jours durant, le binôme – dont le contact avec le monde agricole se limitait jusqu’ici à aller acheter de la tomme de brebis à la ferme – a lutté pour ne pas restituer un domaine en ruine. « On aurait dit un sketch, s’esclaffe Denis. Toutes les nuits, il y avait des bruits étranges. Un soir, la barrière retenant les chevaux est tombée, on les entendait galoper partout. On est sorti avec le pitbull essayer de les récupérer : je revois Anne en culotte, en train d’agiter les bras en les poursuivant. Le lendemain, un homme armé d’un fusil s’est présenté et a insisté pour partir avec trois vaches, prétendant que c’était les siennes… J’ai honte, mais on a dit ok, super y muchas gracias », confesse Denis. À leur retour, les Mennonites se sont montrés compréhensifs bien qu’atterrés par tant d’incompétence.
« On en rit aujourd’hui, mais à certains moments on a eu peur comme rarement, analyse Anne. Être loin de tout, c’est impressionnant, mais c’est surtout l’absence d’électricité et de réseau téléphonique qui nous a donné le vertige. C’est toute la différence entre savoir que tu vis dans un cocon et l’expérimenter ».
Comble de l’ironie, Denis avait emporté dans sa valise « L’Usage du monde », de l’écrivain-voyageur suisse Nicolas Bouvier. « À un moment, il écrit quelque chose du genre ‘On croit qu’on va faire un voyage, mais c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait’… Je me suis dit, bien vu Nicolas, cette fois-là, on peut dire qu’il nous a bien défaits ! ».
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.