La législation européenne oblige la marque américaine à accepter des alternatives à son App Store. Mais le créateur de Fortnite dénonce des embûches semées par Apple contre ses concurrents.
Quatre ans après sa disparition des iPhone, le jeu vidéo Fortnite fait son grand retour sur les smartphones d’Apple… mais uniquement en Europe. Dès ce vendredi, les possesseurs d’iPhone pourront télécharger à nouveau le jeu star d’Epic Games, mais aussi ses autres productions Rocket League et Fall Guys. Inutile de chercher ces jeux sur l’AppStore : il faut installer sur l’appareil un tout nouveau magasin d’applications, l’Epic Games Store. Ce dernier est également disponible sur les smartphones Google Android, dans le monde entier. Le groupe vise un million d’installations d’ici à la fin de l’année.
L’Américain Epic Games est depuis 2020 en guerre ouverte contre Apple, dont il dénonce avec fracas des pratiques anticoncurrentielles. Son principal cheval de bataille est l’impossibilité pour les développeurs d’applications de contourner l’AppStore d’Apple et ses commissions. « Personne ne comprenait qu’Apple faisait grimper les prix avec ses commissions et qu’il entravait la concurrence », souligne son PDG Tim Sweeney dans une conférence de presse. « Ils ont prouvé leur monopole sur la distribution des applications en bloquant Fortnite sur iPhone » en 2020. Epic Games n’avait volontairement pas respecté les règles de l’AppStore, ce qui avait conduit à son bannissement. « Nous avons perdu beaucoup d’argent en nous privant de l’iPhone depuis quatre ans, mais je n’ai aucun regret », affirme le dirigeant.
C’est tout naturellement que le groupe s’est saisi des nouvelles règles européennes qui régissent la concurrence pour les plus grands acteurs du numérique. Le Digital Markets Act contraint ainsi Apple à ouvrir son écosystème au sein de l’Union, sous peine de très fortes amendes. « Nous sommes extrêmement reconnaissants envers la Commission européenne pour ce texte » en vigueur depuis le début de l’année, souligne Tim Sweeney. « Mais notre principal obstacle sont les frictions mises en place par Apple. »
L’entreprise californienne réplique que « le DMA nous obligeait à offrir de nouvelles fonctionnalités aux développeurs de l’Union européenne, et nous avons travaillé pour les rendre aussi simples que possible pour les utilisateurs tout en essayant de protéger leur vie privée et leur sécurité. »
Une installation rendue compliquée
Epic Games dénonce un non-respect des nouvelles règles du jeu. « Pour installer l’Epic Games Store sur iPhone, vous devrez passer par 15 étapes. Trois écrans d’avertissement s’afficheront pour effrayer les consommateurs. À un moment, vous devrez quitter l’installation pour aller dans le menu Paramètres de l’iPhone, avant de reprendre le processus. Tout est fait par Apple pour que les utilisateurs abandonnent en chemin », déplore Steve Ellison, directeur du Epic Game Store. L’entreprise va publier des vidéos pour guider les joueurs.
« Mais nous ne pouvons rien faire contre l’effet psychologique de ce que nous appelons les «écrans d’effroi» (scare screens). Nous savons que nous allons perdre beaucoup d’utilisateurs à cause de cela. Il faut que la Commission européenne oblige Apple à les retirer », plaide Tim Sweeney. Il adresse la même critique à Google. Si le groupe américain n’a jamais bloqué les magasins concurrents à son Google Play, il affiche également ces écrans d’avertissement. « Nous sommes qualifiés de «source inconnue» », pointe Steve Ellison.
Le groupe américain reproche aussi à Apple ses nouvelles politiques commerciales en Europe. Tout développeur qui souhaite profiter du Digital Markets Act pour sortir de l’écosystème de l’AppStore doit régler des commissions. La plus polémique, nommée Core Technology Fee, revient à verser à Apple 0,50 euro par installation, au-delà du seuil d’un million de téléchargements. Pressé par Bruxelles, Apple a récemment assoupli cette règle et exempté les petits développeurs. « Mais 99% des gros développeurs refusent de venir sur l’Epic Games Store à cause de la Core Technology Fee car ils y perdraient trop d’argent », affirme Tim Sweeney.
Apple a également présenté la semaine dernière de nouvelles commissions pour les applications qui n’utilisent pas son système de paiements. « Tout est très confus. Apple ne cesse de changer les règles pour décourager les développeurs de sortir de l’AppStore », poursuit le dirigeant. Le groupe dirigé par Tim Cook est pour cette raison la cible d’une enquête de la Commission pour non-respect du Digital Markets Act. Apple risque une sanction financière représentant jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires, soit plus de 30 milliards d’euros.