Les dirigeants de La France Insoumise dénoncent un « coup de force institutionnel » du président de la République qui, selon eux, refuse de nommer un Premier ministre de gauche. Leur menace semble peu susceptible d’être mise en œuvre étant donné les équilibres parlementaires.
La menace est agitée, mais elle semble être un geste vain. Dans un article publié ce dimanche 18 août dans La Tribune Dimanche, La France Insoumise (LFI) a menacé d’engager une procédure de destitution contre Emmanuel Macron, accusé de « coup de force institutionnel contre la démocratie ». Selon les élus d’extrême gauche, le président de la République envisage de nommer un chef de gouvernement sans tenir compte du résultat politique des élections législatives anticipées de juillet, qui ont placé la gauche unie en tête du Nouveau Front Populaire (NFP, avec 193 députés), mais loin de la majorité absolue (289 députés).
Pour donner vie à leur projet, les signataires, parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon et ses lieutenants Mathilde Panot, Manon Aubry et Manuel Bompard, invoquent l’article 68 de la Constitution. Cependant, leur tentative de destituer le président de son mandat n’a pratiquement aucune chance de réussir étant donné les équilibres parlementaires. De plus, ce dimanche, le Parti Socialiste, membre du NFP, a annoncé ne pas soutenir cette initiative. « Cette tribune n’est signée que par les dirigeants de la LFI. Elle n’engage que leur mouvement (…) La destitution est impraticable », a déclaré le premier secrétaire Olivier Faure.
De nombreux obstacles se dressent sur le chemin
L’article 68 de la Constitution stipule que le président de la République « ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Ce « manquement » peut concerner le « comportement politique » mais aussi « privé » du président, « à condition que ses actes aient porté atteinte à la dignité de sa fonction », indique le site vie-publique. Dans leur tribune, les auteurs estiment que le refus de reconnaître les résultats des élections législatives et la décision de passer outre constituent un manquement condamnable aux exigences élémentaires du mandat présidentiel.
Cependant, une telle procédure doit franchir plusieurs étapes. Tout d’abord, les parlementaires instigateurs du processus doivent convaincre l’Assemblée Nationale et le Sénat de se constituer en « Haute Cour ». La seule mission de cette instance, issue de la révision constitutionnelle de février 2007 et présidée par le président de l’Assemblée Nationale – en l’occurrence Yaël Braun-Pivet, proche de Macron – est de prononcer la destitution du président.
Convoquer cette « Haute Cour » nécessite une proposition de résolution qui doit être approuvée successivement par le Bureau de l’Assemblée (le NFP y disposant d’au moins 12 voix sur 22), puis adoptée en commission des Lois et en séance plénière à une majorité des deux tiers. Un processus similaire doit également avoir lieu au Sénat, où la droite est majoritaire.
Cependant, si La France Insoumise, qui compte entre 70 et 80 députés, peut déposer seule sa résolution à l’Assemblée Nationale (il faut 1/10e des 577 députés), le consensus de 2/3 des députés, soit 384 parlementaires, semble impossible à atteindre. Dans l’éventualité – limitée après le refus du PS de soutenir la procédure de destitution – où tous les députés du NFP voteraient en faveur, ils ne seraient que 151…
Et même si la Haute Cour était constituée, la destitution du président de la République devrait être votée par la majorité des deux tiers de ses membres (soit 617 parlementaires sur 925). Une perspective très improbable compte tenu des rapports de force au sein des deux chambres parlementaires.
Depuis sa mise en œuvre, l’article 68 n’a été invoqué qu’une seule fois. En 2016, des députés Les Républicains (LR) avaient engagé une procédure de destitution à l’encontre de François Hollande en raison de révélations et de confidences classées secret-défense faites dans le livre des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme Un président ne devrait pas dire ça… (Stock, 2016). La proposition avait été rejetée dès son examen par le bureau de l’Assemblée.