EXCLUSIF – Le créateur au talent incontesté, directeur artistique de Dior Homme et également à la tête des collections féminines de Fendi, a transformé sa maison brutaliste londonienne en un laboratoire créatif pour la mode. Un lieu abritant ses 1 000 collections érudites, un refuge intimiste qu’il ouvre sous nos yeux.
De l’extérieur, il est impossible de deviner cette impressionnante construction de 800 mètres carrés – une juxtaposition de vastes cubes de béton – accessible par un escalier en dalle de verre, entourée d’un jardin tropical à l’avant, longée par un couloir de nage infini d’un côté et agrémentée d’une salle à manger à ciel ouvert au centre.
À l’origine, je cherchais plutôt une maison ancienne, avec du caractère, je n’aurais jamais imaginé vivre dans un tel endroit, assure Kim Jones, le propriétaire heureux de ce bâtiment brutaliste. Pourtant, lorsque je l’ai visité, je suis tombé immédiatement amoureux du calme des lieux, de la lumière omniprésente. On se sent flotter ici! Cette structure minimaliste, érigée en 2006 par l’agence Gianni Botsford Architects selon un concept de luminarium pour optimiser l’éclairage naturel tout au long de l’année, en tenant compte des conditions météorologiques propres à Londres, repose sur un plan inversé. Les chambres, les dressings et la salle de sport se trouvent au rez-de-chaussée, tandis que les espaces de vie sont à l’étage. Pas de fenêtres donnant sur la rue, aucune vue sur l’extérieur, le bâtiment est tourné vers lui-même, offrant un monde clos, une sorte de promenade mentale dans l’univers du maître de maison.
Sous la façade paisible, un calme trompeur, le directeur artistique de Dior se révèle être une personnalité vive, agile, spontanée, directe et intense. Beaucoup pourraient être impressionnés par le rigorisme architectural des lieux, optant pour un mobilier design minimal, risquant de transformer ce bunker de luxe en une forteresse ennuyeuse. Dandy dans l’âme, Kim Jones préfère les détours. À l’image du milliardaire sud-américain Charles de Beistegui (1895-1970) qui, dans les années 1930, a brisé l’austérité de son penthouse des Champs-Élysées, commandé à Le Corbusier, à travers une profusion de candélabres, de meubles rococo et de miroirs baroques, Kim Jones aime associer des œuvres d’art expressionnistes, l’artisanat populaire et un design moderniste dans son palais de béton. Il évite ainsi tout rigorisme pour créer un intérieur éclatant.
Sa pratique en matière de décoration est en relation avec sa vision de l’allure masculine, mêlant des pièces de tailleur à des vêtements sport pour un style décontracté, le tout ponctué d’accessoires poétiques, artistiques, parfois même un peu ambigus, entre petits chapeaux et bijoux haute couture. Masculin ou féminin? Look street ou élégance classique? Comme pour sa mode, Kim Jones excelle dans des espaces à l’identité transitoire. Pas de salle à manger formelle, mais une grande table dans la cuisine et une autre sur la terrasse. Rien de figé.
Il se réapproprie complètement la structure, modulant les espaces en fonction de son mode de vie. Le grand salon est idéal pour recevoir, un autre plus confortable est dédié à la vie quotidienne, la bibliothèque sert de bureau et une chambre au rez-de-chaussée a été transformée en salle de sport. Des canapés confortables au design minimaliste cèdent la place à des peintures puissantes, une accumulation d’objets raffinés, de bouquets foisonnants aux couleurs irréelles. L’espace dégage une énergie électrique, fruit de la juxtaposition des multiples collections de Kim Jones.
Le dialogue des arts et des époques est omniprésent dans chaque coin de la maison. Peintures, dessins et photographies dialoguent, juxtaposés de manière érudite et malicieuse. Le grand salon abrite un rare ensemble d’œuvres anglaises du début du XXe siècle. Des tableaux, mais aussi une table peinte et un paravent signé Duncan Grant (1885-1978), un membre éminent du cercle d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels de Bloomsbury. Le visiteur peut également contempler un extraordinaire tapis cubiste de Francis Bacon (1909-1992), une nu du performeur Leigh Bowery (1961-1994) signé Lucian Freud (1922-2011), un portrait photographique de Francis Bacon par Peter Beard (1938-2020), ainsi qu’une photo de Kate Moss sur un lit avec Lucian Freud, capturée par David Dawson. Une galerie de portraits de la scène artistique londonienne.
Dans la bibliothèque, on trouve un ensemble de mobilier moderniste signé Pierre Chareau (1883-1950), comprenant fauteuils tapissés, table d’appoint en métal et secrétaire en bois et acier. Chaque espace de la maison est articulé autour de thèmes ou d’écoles artistiques, reflétant le goût éclectique et la curiosité insatiable de son propriétaire.
Régulièrement, les objets exposés dans la maison changent, créant ainsi une atmosphère en mouvement, vivante. Kim Jones aime explorer de nouveaux objets qu’il trouve aux enchères, dans les galeries ou sur le web. Sa maison évolue en permanence, certains objets disparaissent pendant un moment pour revenir ou être remplacés par de nouvelles trouvailles. Cette dynamique reflète bien l’esprit ouvert et curieux de Kim Jones.
Né à Londres de parents de différentes origines, Kim Jones a passé son enfance entre l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie et le Botswana en raison du métier de son père. Les couleurs vives des plaids masaïs, les parures tribales qu’il a vues dans son enfance ont laissé une empreinte indélébile sur lui. Son parcours, marqué par des études en photographie et graphisme, une formation en confection masculine et des collaborations avec des maisons prestigieuses telles que Louis Vuitton et Dior, a façonné sa vision unique de la mode et de la décoration.
Kim Jones se distingue par son approche excentrique et avant-gardiste, mélangeant habilement les époques, les styles et les influences. Sa maison est à son image, un laboratoire créatif où chaque détail raconte une histoire, où chaque objet possède une signification particulière. Ce lieu unique, à l’image de son propriétaire, incarne l’audace, l’originalité et le raffinement d’une esthétique en perpétuelle évolution.