Le 31 octobre, Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, a officialisé deux décrets présidentiels visant à accorder une grâce à plus de 4 000 détenus, une initiative marquant le 70e anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance du pays. Ce geste a suscité des espoirs parmi les familles des détenus d’opinion, souvent des militants et des journalistes, retenus à la suite du mouvement populaire Hirak qui a conduit à la chute du régime de Bouteflika en 2019. À la fin de la journée, on a appris que près de vingt détenus d’opinion avaient effectivement bénéficié de cette grâce, renforçant encore les attentes de libérations futures.
Parmi les figures emblématiques des détenus d’opinion, le journaliste Ihsane El Kadi s’est distingué. Il a été incarcéré en décembre 2022 puis condamné en juin 2023 à sept ans de prison, dont cinq ans ferme, pour des accusations relatives au financement étranger de son entreprise. Son arrestation est survenue dans un contexte où il critiquait ouvertement la politique algérienne à travers ses écrits, notamment sur les prochaines élections présidentielles. Les défenseurs d’Ihsane El Kadi, notamment des ONG comme Reporters sans frontières (RSF), ont dénoncé le caractère fallacieux des accusations portées contre lui, affirmant qu’il n’existait aucune preuve tangible justifiant son emprisonnement.
D’autres journalistes, tels qu’Omar Ferhat et Sofiane Ghirous, ont également été libérés, même s’ils n’étaient pas concernés par les décrets de grâce. Ces deux reporters avaient été placés en détention préventive en juin 2024 pour avoir diffusé une vidéo montrant des jeunes du Sahara s’exprimant sur la marginalisation dont ils sont victimes. Khaled Drareni, le représentant de RSF en Afrique du Nord, a affirmé qu’aucun journaliste n’était en détention en Algérie, témoignant ainsi d’un changement de climat, malgré les craintes persistantes.
La situation demeure cependant préoccupante pour d’autres, comme Mohamed Mokaddem, plus connu sous le pseudonyme d’Anis Rahmani, propriétaire d’Ennahar, condamné en septembre 2022 à dix ans de prison pour diverses infractions financières. Son cas, et celui de nombreux autres, soulève des questions sur la liberté de la presse et le respect des droits fondamentaux en Algérie.
Les libérations récentes, bien qu’encourageantes, ne touchent qu’une petite partie des quelque deux cents détenus d’opinion, selon diverses ONG. Le Front des Forces Socialistes (FFS) a salué ces mesures comme un bon pas vers un apaisement et un rétablissement de la confiance entre la société et les institutions, tout en appelant à des mesures plus larges, y compris l’exonération de tous les détenus d’opinion. Le FFS a particulièrement intervenu pour plaider en faveur de la libération de Mohammad Baba Nadjar, emprisonné injustement depuis près de 19 ans.
D’autres groupes politiques, tels que le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), espèrent que ces gestes symboliques conduiront à un climat d’échanges honnêtes et constructifs pour l’avenir du pays. De leur côté, le Parti des Travailleurs (PT) a exprimé sa satisfaction face à ces développements, réaffirmant leur engagement à promouvoir la libération de tous les détenus politiques.
Abdelmadjid Tebboune a mis en avant ces actions humanitaires dans un contexte politique où la répression des voix dissidentes s’est intensifiée. Les autorités persistent à rejeter l’appellation « détenus d’opinion », affirmant qu’ils sont incriminés pour des infractions de droit commun, ce qui, pour beaucoup d’observateurs, n’est qu’un camouflage des véritables motifs.
Les experts se questionnent sur les implications de cette démarche. Certains, comme le quotidien El Khabar, avancent que ces mesures pourraient également signaler une volonté de dialogue national, un sujet évoqué par Tebboune dans ses communications après sa réélection. Ce dialogue est prévu pour la fin de 2025 ou début 2026, et pourrait devenir un moment clé pour l’Algérie, soumise à de nombreuses tensions sociales et politiques.
En conclusion, bien que les grâces présidentielles aient créer un moment d’espoir et un possible tournant vers une amélioration des relations entre l’État et une partie de la population, scepticisme et vigilance demeurent de mise dans un pays où les défis de la liberté d’expression et des droits humains sont loin d’être résolus. Le regard se tourne désormais vers l’avenir pour espérer des réformes concrètes et significatives.