Sous l’emprise de contraintes climatiques et énergétiques intenses, les stations de sports d’hiver envisagent une transformation dite « verte », tout en misant également sur l’esthétique. Pour augmenter leur attractivité et leur désirabilité, elles adoptent un mode de vie « lifestyle » et modernisent leurs infrastructures existantes.
Les montagnes sont en pleine mutation. Elles cherchent bien sûr à s’adapter aux défis du changement climatique et à réduire leur empreinte carbone. Ce vaste chantier est largement engagé par les stations de ski, qui ont conscience que les territoires de haute altitude doivent dorénavant être habités toute l’année. Cependant, leur mode de vie doit être réinventé pour que l’offre touristique corresponde aux attentes plus sensibles de notre époque. Car au-delà de la responsabilité environnementale, ces territoires doivent continuer à faire rêver un public de plus en plus enclin à se ressourcer. Si la pratique du ski reste un élément clé des « vacances à la neige », les citadins des montagnes veulent pouvoir organiser leur journée de manière plus diversifiée : profiter d’un spa, suivre des cours de yoga, faire de la randonnée, dîner dans un bon restaurant (où l’on ne mange pas que de la fondue), savourer un – bon – cocktail… Profiter au maximum de ce cadre enchanteur, selon leur rythme et leurs envies.
De nouveaux codes stylistiques émergent dans le secteur hôtelier des montagnes, rompant avec l’image souvent fantasmée d’une montagne d’antan : des établissements comme Beaumier (anciennement Hôtel d’en Haut) ont ouvert la voie en proposant un concept de style de vie clairement défini. Rapidement, d’autres offres sont apparues, comme le groupe Assas et son RockyPop, au style très urbain, ou encore Friendly Hotes, qui mise sur un design vintage. Dernier en date de ces innovateurs de l’hospitalité, le groupe Experimental, avec sa signature design et gastronomique très métropolitaine, s’intéresse désormais clairement aux Alpes.
« Dans quelle mesure peut-on créer un esprit montagnard contemporain ? », s’est demandé l’architecte d’intérieur Dorothée Meilichzon, créatrice presque emblématique du groupe. Elle répond à cette question en s’appuyant sur un patrimoine visuel qu’elle revisite de manière ludique mais toujours élégante. De plus, les hôteliers n’hésitent pas à créer des espaces de vie : restaurants, bars et même clubs accessibles à une clientèle non résidente, afin de dynamiser l’adresse et la rendre encore plus vivante et attrayante. Des acteurs historiques tels que le Club Med ne restent pas en reste, comme en témoigne la rénovation de l’établissement de Serre Chevalier confiée à l’agence Maugoust Chenais, qui introduit un « mélange rétro désirable » dans le concept du club-hôtel.
Au-delà de l’aspect décoratif, l’architecture joue un rôle essentiel dans ce mouvement de « lifestylisation » de la montagne. Si les stations-villages conservent un charme intemporel, celles issues du plan neige des années 1970 ont été boudées par l’opinion publique pendant des décennies. Aujourd’hui, elles rattrapent le tempo en mettant en avant leurs icônes créatrices comme Charlotte Perriand, Marcel Breuer, Michel Bezançon… Ainsi, Les Arcs 1600 a lancé des visites architecturales à ski et un festival d’architecture pour redonner toute sa valeur à ce joyau ; Les Menuires ont fait rénover les quelque 700 mètres de leur Croisette par l’Atelier Ritz, qui a réalisé une « identification » de cet espace de circulation ; Flaine et Aime-la-Plagne envisagent actuellement des extensions pour valoriser l’existant.
Une montagne praticable toute l’année est un objectif à atteindre. Val-Thorens ouvrira cet hiver, au sommet de la Cime Caron, un espace de vie, le Caron 3200, comprenant un restaurant, un bar à vin… dédié avant tout à la contemplation hiver comme été. Les Deux-Alpes inaugurent un nouveau téléphérique, Jandri 3S, dont les gares conçues par l’agence A-Team sont des repères architecturaux, un nouveau point de repère visuel dans la station. Jandri 3S propose également des espaces privatifs pour des événements.
Val-d’Isère a choisi l’agence norvégienne de Reiulf Ramstad pour construire sur le front de neige la Maison des Avalins, un vaste complexe polyvalent ouvert à tous. L’architecture de ce lieu reprend la typologie du chalet de montagne tout en jouant sur la simplicité et la transparence pour une meilleure intégration dans le paysage.
Face à l’essor touristique croissant, la commune des Belleville a lancé le projet Val Tho 2 sur le plateau du Cairn. Ce nouveau « hameau » de 4 hectares offrant 3000 lits devra répondre aux normes écologiques essentielles ainsi qu’aux attentes d’une montagne praticable toute l’année. Espérons que ces projets ne resteront pas lettre morte et ne serviront pas uniquement de vitrine pour rendre la montagne plus attractive.
Entretien avec Jean-Michel Wilmotte
Fondateur de l’agence Wilmotte & Associés, l’architecte passionné par les projets de réhabilitation et de conversion de grande envergure évoque son travail en montagne.
LE FIGARO MAGAZINE. – Est-ce que la construction en montagne nécessite une approche particulière ?
Jean-Michel Wilmotte. – C’est d’abord un réel plaisir pour moi. Mais oui, la montagne a son propre langage que les architectes doivent assimiler. Une palette de matériaux limitée, la pierre et le bois, des contraintes imposées par la nature, des codes formels différents selon les régions… Autant d’éléments à prendre en compte pour intégrer une approche architecturale novatrice.
La saisonnalité et les défis climatiques sont désormais une dimension essentielle de ces projets ?
Pendant longtemps, on pensait principalement à la neige, alors que cela ne concernait qu’une partie de l’année. La réflexion évolue vers une utilisation des bâtiments toute l’année, même en dehors de la saison hivernale. Cela devrait inciter les architectes à proposer des ambiances différentes au sein d’un même projet, avec des programmes dédiés à un art de vivre plus varié que le simple ski.
L’adaptation de l’existant aux exigences contemporaines fait également partie de vos missions ?
La rénovation occupe une place importante dans nos projets. À Piau-Engaly, dans les Pyrénées, par exemple, nous avons regroupé les commerces en nous appuyant sur la typologie en arc de cercle des bâtiments de Vialle-Sanchez. Pour Aime-la-Plagne, nous proposons une série de petits bâtiments qui ne rivaliseront pas avec l’icône en forme de paquebot de neige de Michel Bezançon, mais établiront au contraire un dialogue harmonieux.
Bien que ce soit encore loin, les Jeux olympiques de 2030 dans les Alpes françaises pourraient-ils servir de laboratoire d’architecture ?
Oui, absolument. Cela sera également, je l’espère, l’occasion de rénover des bâtiments qui n’avaient pas été pris en compte lors des JO d’Albertville en 1992. Cela permettra de mettre en valeur un patrimoine récent et d’imaginer des installations qui pourront ensuite contribuer au développement des villes et du tourisme.
En conclusion, les montagnes françaises sont en pleine transformation, cherchant à concilier modernité, respect de l’environnement et attractivité touristique. Les stations de ski se réinventent pour répondre aux nouvelles attentes des visiteurs, mêlant design contemporain, mode de vie « lifestyle » et préservation du patrimoine visuel. Les projets architecturaux se multiplient pour offrir des infrastructures adaptées à une utilisation toute l’année, faisant de la montagne un lieu de séjour privilégié où le rêve et la réalité se rejoignent harmonieusement.