Le Japon des Montagnes : Un Pèlerinage de Paix et de Connaissance
Dans le cœur de l’été canicolaste, j’ai eu le privilege de effectuer un périple vers le nord, jusqu’aux Alpes japonaises, de Koyasan à la vallée de Kiso, avant de succomber à la fascination du mont Fuji, plus au sud. Je partagerai avec vous mon récit de voyage, ponctué de découverte de temples, de jardins de pierre, de maisons-traditionnelles, de trains à grande vitesse et de rues pavedues.
Koyasan, un havre de paix
Le monastère de Kongôbu-ji, le principal monastère du bouddhisme Shingon, est l’un des plus beaux de Japon. Son toit de chaume, surmonté de barils d’eau servant à humecter la paille en cas d’incendie, évoque des fermes normandes. Il abrite également l’un des plus beaux jardins de pierre du Japon, le Banryu-tei, ou "jardin des dragons", composé de 140 blocs de granit provenant de l’île de Shikoku. Un tableau dépouillé de dragons et de nuages sur un tapis de sable blanc de plus de 2300 m² prélevé à Kyoto.
La pagode détonante
La Grande Pagode Daitô, conçue dès 816 par le Kôbô Dashî comme un élément architectural central, est remarquable par sa couleur orange vif et sa taille, culminant à 49 mètres. Sa construction initiale prit 70 ans. Nous chemins ainsi, de merveille en merveille, saisissant par le message éminemment pacifique de ces hommes et ces femmes venus adresser leurs prières, le corps ployé, les mains jointes, jetant leur encense, psalmodiant, claquant parfois des mains, et se succédant sagement pour ne faire plus qu’un avec les Bouddha d’or.
Un temple connecté
Le Saizen-in, un petit temple situé juste derrière le complexe monastique, cultive un puissant lien avec le fondateur de Panasonic, dont on devine aisément qu’il en est l’influent mécène. Toute l’électronique du bâtiment, de la climatisation aux téléviseurs, est étiquetée Panasonic. Dans le grand cimetière de Koyasan, le mausolée frappé à l’effigie du groupe impose. Il fait face au cimetière de la marque Kubota, bien connue pour ses petits tracteurs et ses engins de travaux publics. La religion infuse sans complexe le monde des affaires au pays du Soleil Levant… et inversement.
Un séjour d’une nuit
Pour commencer notre séjour au Saizen-in, une séance de méditation, l’Ajikan, s’impose. Initiation au bouddhisme Shingon par le jeune moine Taiki. Le même qui, le lendemain, officiera à la prière de 7 heures, dans une litanie envoûtante. La matinée se poursuit par la visite du cimetière Okunoin, l’un de ces lieux qui surpassent tout ce que nous aurions pu imaginer. Sous des cyprès cathédrales multi-centenaires, ce parchemin de pierre déroule l’histoire du Japon, de ses grandes familles, ses batailles, ses trahisons. Un chaos d’intrigues semé de soumissions, de suicides rituels parfois ordonnés, mais aussi de grands accomplissements.
Un mausolée de 10 000 lanternes
Au bout du long sentier semé de dalles et planté de pierres tombales et de petits temples, à deux kilomètres de la porte d’entrée du cimetière, le mausolée de Kûkai abrite 10 000 lanternes pour illuminer les hommes. La poésie de l’endroit pénètre le plus irréductible des agnostiques. Kûkai, le sage, le fondateur de son ordre, y résiderait encore… depuis un millénaire. Cette croyance en son éternité a pris forme deux cents ans après sa mort. Venir prier là, entre ces murs de bois et de papier, c’est honorer son enseignement au plus près. Le mausolée ne désemplit pas.
Le Jizô, les statues de pierre
En chemin, parsemant les sépultures, de drôles de petites statues attirent le regard. Ce sont les Jizô, du nom de ce moine protecteur des enfants et des voyageurs. Ils ont été grimés et portent des sortes de tabliers rouges. Comme des poupées de pierre aux habits un brin criards. Maquiller son Jizô sur la tombe ou dans son jardin serait un gage de beauté grandissante pour qui cède à cette croyance. Ces petits personnages joyeux, parfois empilés sur un monticule, apportent une note de gaieté, en tout cas, à la solennité d’Okunoin.
Un voyage en train
Nous repartons de Koyasan pour Kanazawa, còn une centaine de kilomètres plus au sud. Nous nous installons dans un ryokan, l’une de ces auberges traditionnelles dont les ouvrants sont des panneaux coulissants formés d’une treille en bois tendue de papier. Dans la chambre : futons au sol, bouilloire et ustensiles pour le thé. À la porte pour chacun : une paire de chaussons pour se déplacer, après avoir laissés ses chaussures dans un petit meuble du lobby de l’hôtel. Le réceptionniste parle l’anglais et nous prodigue maints conseils pour agrémenter notre séjour. Bungo a des airs de poète, cheveux longs attachés, lunettes rondes cerclées de métal, il travaille avec sa mère.
Un musée d’art contemporain
La visite du musée d’art contemporain de la ville nous réjouit par sa richesse et ses moments d’étonnement. L’œuvre de Tiffany Chung retient l’attention. Faut-il l’interpréter comme le monde vu de cette partie de l’Asie ? Le large tableau en tissus brodé représente une carte planétaire, où la zone Pacifique occupe le centre et projette ses fils jusqu’aux confins des autres continents. Mais c’est l’exode du peuple parti du Vietnam que l’artiste a voulu narrer. L’histoire douloureuse des boat people. Je suis surtout séduit par cette carcasse géante de bateau enfoui sous les mers. Construite en bambou noué par des fils et occupant l’intégralité d’une pièce immense, son arête centrale est scellée à la cire. Un côté vestige, ou squelette de créature de l’au-delà, donne à cette œuvre une incroyable force onirique.
Un jardin japonais
Il fallait également visiter le parc du château de Kanazawa, enserré par ses douves. Fondé par le clan Maeda, cet imposant édifice remonte au XVIe siècle. Incendié, victime des séismes, il a connu toutes les avanies. Reconstruit maintes fois et richement décoré, il portait au XIXe siècle le nom évocateur de "Palais des 1000 tatamis". Le tremblement de terre de janvier 2024 l’a de nouveau endommagé. Il s’en relèvera.
Un last resort de samouraï
Il fallait également visiter Nagamachi, le quartier des Samouraïs de la classe moyenne durant la période Edo. Ces guerriers austères louaient leurs services à des seigneurs locaux. Ils pouvaient se donner la mort, lors de cérémonies publiques, quand l’honneur était en jeu. La cruauté de leurs mœurs n’avait d’égale que la zénitude de leur logis. Quel plaisir de prendre une pause dans l’une de ces villas de bois et de pierre à étages, avec vue sur un jardin paysager, ses bambous, ses lanternes, ses poissons rouges.
Un château ninja
L’après-midi, nous pénétrons dans un "château ninja", qui est, en réalité, un ancien temple. Une bâtisse haute en bois et toits de tuiles. Et à quatre étages, alors que les constructions étaient limitées à un étage sous l’ère Edo, où il vit le jour. Il abritait, il est vrai, des protecteurs du grand château de Kanazawa. Des maîtres d’arme vivent là, reclus dans des salles minuscules, priant, s’entraînant, s’adonnant à la cérémonie du thé. Le palais de bois est truffé de pièges, de trappes, pour surprendre l’éventuel assaillant. Et de sorties dissimulées pour s’éclipser. Un monde de paranoïa d’un autre âge.
Une salle consacrée au seppuku
L’une des salles à l’étage, sorte de réduit où tient à peine une personne, était dédiée aux suicides par éviscération, quand le guerrier avait failli aux règles ou perdu un combat. Rude société de l’ancienne époque. On appelle cette salle celle des quatre tatamis. Quatre ou "shi", un chiffre qui signifie la mort et qui porte malheur au Japon.
Je suis getLastivement reparti de ce périple dans ces montagnes, avec le sentiment d’avoir déchanté l’univers des temples, des jardins, des ryokans, des trains à grande vitesse et des rues pavementes, et d’avoir découvert un pays qui, malgré son passé, est toujours prêt à se transformer, à se renouveler, sous le signe de la paix et de la sérénité.