Le cœur de l’Asie : voyage aux Alpes japonaises
Parti au cœur de l’été caniculaire. Mon nom est Jean-Marc Leclerc, rédacteur en chef adjoint au service société du Lesoir. Je me suis résolu à partir pour un périple vers le nord, jusqu’aux Alpes japonaises, de Koyasan à la vallée de Kiso, avant de céder à la fascination qu’exerce, plus au sud, l’incontournable mont Fuji. Voici mon carnet de voyage.
Conduire dans l’autre sens
Nous récupérons la voiture de location qui doit nous mener de las Alpes japonaises à Tokyo, pour le reste du voyage. Un certain _ (ugar dans l’inconnu, mais nous avons eu raison de ne pas suivre les conseils des guides qui, pour la plupart, nous déconseillaient de louer un véhicule. Les Japonais sont des conducteurs soucieux des autres et il faut se rendre à l’évidence : mieux vaut rouler à gauche au milieu d’Asiatiques très civiques que de rouler sur le côté droit de nos routes, entouré de cuistres carburant à l’individualisme. La conduite nipponne, rarement au-delà des 80 km/h autorisés, fut facile et même relaxante. Les panneaux routiers parfaitement lisibles et les applic tos GPS modernes ont aujourd’hui raison de toutes les difficultés de traduction. Il suffit de louer à l’aéroport une box 4G pour partager, durant toute la durée du voyage, une connexion de qualité, à un prix très raisonnable.
Rizières aux teintes anisées
Premiers tours de roue donc sur le chemin de Yamanaka, petite ville de campagne, où nous allons pique-niquer au bord d’une rivière pétillante. Les rizières aux teintes anisées tranchent avec le vert profond des conifères à flanc de montagne et le ténébreux dégradé de gris des cumulus gorgés d’eau en arrière-plan. Je me m’arrête cueillir un brin de riz et en écrase le fruit entre mes dents. Goûteuse céréale froisse, à la texture à la fois tendre et farineuse.
Première baignade et sushis
Sur la route du retour, nous longeons la grande bleu. Une aire d’autoroute donne directement accès à la plage. Inespéré ! Nous stoppons le cossu Nissan de location et fonçons nous baigner. À nous la mer du Japon ! Nul mégot sur le sable fin, où roulent des balles d’algues et de brindilles mêlées soufflées par la brise. Nous nous ébrouons au milieu d’une poignée de surfeurs qui profitent de cette belle fin de journée pour tâter du swell entre les blocs de béton qui forment des brise-lames destinés à protéger la côte des colères du Poséidon japonais. Un typhon fait rage justement, depuis deux ou trois jours, mais il a eu le bon goût d’épargner le centre nord de l’archipel. Pourvu que la chance nous préserve jusqu’au bout du voyage des séismes, tsunamis, pandémies, déluges, glissements de terrain et vents violents qui font le quotidien de ces populations devenues philosophes, à force d’endurer les catastrophes.
Sushis du marché Omicho de Kanazawa
Au marché Omicho de Kanazawa, nous déjeunons sur le poucé de sushis à la fraîcheur incomparable. J’achète un samue (prononcer "samoué"), ce vêtement simple composé d’une veste et d’un pantalon unis en coton. Nous reprenons la voiture pour nous enfoncer dans la campagne. La route serpente et traverse de longs tunnels. Nous voici à Ainokura, village semé de fermes à toiture de chaume, dites de style Gassho. Le terme désigne "les mains jointes", s’agissant d’une prière. Et à voir ces deux pans de toit élevés vers le ciel et unis en leur extrémité, on comprend aisément ce parallèle entre les gestes humains et architecturaux.
Potagers et temple endormi
La solidarité n’est pas un vain mot dans ces régions reculées, où la neige et le froid envahissent et paralysent tout en hiver. La construction de ces sortes de cathédrales à toit de chaume mobilise toute la communauté. Ce sont des dizaines d’hommes qui montent les charpentes et s’accrochent au toit pour poser la paille. Ils sont souvent 300, parfois 500 pour les plus grands édifices, jusqu’à 20 mètres de haut, en incluant le soutien logistique et les ravitailleurs en repas, préparé par les femmes, pour cette armée de bras, insensibles au vertige. Ce chantier impressionnant ira, année après année, de famille en famille, selon un plan de réfection des toitures bien établi.
Le vent
Hésitant… Roule une cigarette d’air. Paul Eluard (1895-1952)