Le 7 janvier dernier, nous avons dit adieu à un homme qui aura laissé son empreinte profonde sur l’histoire de notre pays : Jean-Marie Le Pen, cofondateur du Front national. Sa funéraille a lieu samedi à La Trinité-sur-Mer, dans une cérémonie intime qui rassemble principalement sa famille. Un hommage religieux lui sera rendu le 16 janvier prochain au Val-de-Grâce, à Paris.
Dans les années 1980, deux personnalités fortes et charismatiques allaient se retrouver sur les routes de la politique et de la religion. Jean-Marie Le Pen et Jean-Marie Lustiger partageaient le même prénom, mais leur parcours était tout autre. Le premier devint président du Front national, tandis que le second monta en grade pour devenir archevêque de Paris puis cardinal. Au prélat réservé, le politique trouvera son rival le plus intransigeant.
C’est ainsi que l’archevêque Lustiger répondit, mi-septembre 1996, au micro de France-Info, après avoir écouté le discours de Jean-Marie Le Pen aux universités d’été du Front national sur l’inégalité des races. Juste avant le voyage du Pape Jean-Paul II à Reims pour célébrer le 1500e anniversaire du baptême de Clovis, le cardinal lança cette réplique cinglante : « C’est une magnifique résurgence du paganisme le plus cynique et probablement le plus dangereux pour la conscience morale d’une nation », en référence à Le Pen.
Le cardinal Lustiger venait de traverser une vie tumultueuse, marquée par l’occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, le rôle crucial qu’il avait joué pendant la Résistance et l’expérience de la liberté retrouvée. Et pourtant, il n’aurait pu être plus réservé lorsqu’il avait affaire à Jean-Marie Le Pen.
« Le problème fondamental, à mon avis, c’est celui de l’identité nationale. Nous devons nous demander ce que c’est que de être français. Est-ce encore possible de créer une identité nationale française sans sacrifier la dignité de l’homme? » avait-il posé la question, dans une allocution censurée par les cercles politiques.
Les raisons de cet affrontement entre deux puissants sont nombreuses. Le Front national, créé en 1972, ambitionnait de rassembler les électeurs inquiets et mécontents des politiques en place. Au contraire, l’archevêque Lustiger voulait réaffirmer les valeurs de la République et préserver l’universalité des principes chrétiens.
Les dernières années ont vu se former un climat de tension sans précédent entre les puissances catholiques et les milieux politiques d’extrême droite. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur l’inégalité des races et la nécessité de protéger la « race blanche » ont offensé le cardinal Lustiger et les dirigeants du Vatican.
Ce conflit fut également alimenté par les rumeurs selon lesquelles Jean-Marie Le Pen et ses partisans auraient encouragé le vote blanc au premier tour de l’élection présidentielle de 1995, à la suite duquel Jacques Chirac devint président. Les catholiques français et les dirigeants du Vatican ont vu cela comme une ingérence religieuse et politique dans le processus démocratique.
Les derniers jours de Jean-Marie Le Pen ont été marqués par une controverse sur les circonstances de sa mort. Les ténors du Front national, tels que Marine Le Pen, ont prétendu que le politologue et ami de longue date, Robert Paxton, avait contribué à sa dégradation physique. Cependant, les amis et les parents de Le Pen ont démenti ces rumeurs.
Les obsèques de Jean-Marie Le Pen auront lieu samedi à La Trinité-sur-Mer. Les catholiques français pourraient ne pas être représentés en grande quantité, mais les observateurs attendent avec intérêt l’homologue religieux qui se tiendra au Val-de-Grâce le 16 janvier. Il pourrait être l’occasion pour le cardinal Philippe Barbarin, successeur de Jean-Marie Lustiger à la tête de l’archidiocèse de Lyon, de rappeler les mots de son prédécesseur en réaction au discours de Le Pen en 1996.
Les raisons de cet affrontement entre deux hommes puissants sont nombreuses, mais à l’origine, il y a un désaccord profond entre deux visions du monde. Dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen et Jean-Marie Lustiger venaient de traverser un moment historique pour la France. Le second avait vu naître la résistance et avait vécu l’après-guerre, tandis que Le Pen avait mené une vie de militantage politique et hadal. Malgré leurs différentes visions, leur conflit servira de reflet de l’histoire complexe de la France contemporaine.