La violence au volant : un phénomène complexe
Les routes françaises sont souvent le théâtre de scènes de violence, où les automobilistes se laissent emporter par la colère et la frustration. Mais pourquoi les conducteurs, même les plus sages, peuvent-ils se révéler si violents derrière le volant? Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Jean-Pascal Assailly, psychologue spécialisé dans la sécurité routière, qui a étudié ce phénomène dans son livre "Homo automobilis".
Selon le chercheur, la violence au volant est souvent liée à des facteurs qui dépassent la conduite en elle-même. "La voiture est un objet qui coupe l’automobiliste du monde", explique-t-il. "Nous avons supprimé toutes les sensations de vitesse, faisant de la voiture un objet ultra-confortable, coupé du monde. On entend même plus le bruit du moteur." La voiture est devenue un espace où les gens se sentent anonymes et éloignés de la réalité, ce qui favorise une faible prise en compte d’autrui.
Mais il y a plus. Le stress professionnel et familial peut également jouer un rôle dans la violence au volant. "Quand vous cumulez une montagne de stress professionnel et familial, je ne sais pas si vous êtes en état de conduire", s’interroge Jean-Pascal Assailly. Le stress et la gestion des émotions ne faisant pas bon ménage, la violence devient un refuge à la moindre contrariété sur la route.
Enfin, il y a l’esprit de compétition. Selon René Girard, nous désirons ce que les autres désirent. Mais lorsque deux personnes veulent la même chose, elles entrent en compétition. Dans la voiture, cette compétition se concrétise lorsque nous souhaitons aller vite ou gagner du temps dans les embouteillages. "Dans cette compétition sur route, les automobilistes veulent marquer leur territoire par rapport aux autres", explique le psychologue.
Mais il y a également le concept de la distinction, développé par Pierre Bourdieu. Historiquement, l’achat de voiture est né d’une volonté de se distinguer. La voiture est un vecteur d’ascension sociale pour les classes moyennes, ou de bons goûts pour les plus riches. Toucher à sa voiture, c’est toucher à son identité sociale, ce qui éveille spécialement les passions.
Les exemples de violence au volant sont nombreux et souvent tragiques. En octobre dernier, un automobiliste a écrasé délibérément un cycliste en plein Paris. "Et qu’a-t-il dit aux policiers? J’étais pressé, je devais emmener ma fille à un rendez-vous", commente Jean-Pascal Assailly. "Cela me fait dire que notre société a un rapport pathologique au temps. Tout le monde semble manquer de temps, alors qu’en toute objectivité, on a plus de temps libre que nos grands-parents."
En fin de compte, la violence au volant est un phénomène complexe qui dépend de nombreux facteurs. Il est donc essentiel de prendre conscience de ces facteurs pour prévenir les accidents et les violences sur les routes. "La voiture est un objet qui peut être source de violence, mais elle peut également être un outil de paix", conclut Jean-Pascal Assailly. "Il est donc important de promouvoir une culture de la sécurité routière et de la prévention des violences au volant."