L’Affaire Ihsane El Kadi : Un Journaliste Otage de la Politique
Le 7 mai dernier, le journaliste algérien Ihsane El Kadi a franchi un cap symbolique : il a passé son 500e jour derrière les barreaux. Cette étape marque un nouveau stade dans l’affaire qui oppose le journaliste à l’État algérien, un conflit qui met en lumière les tensions entre la liberté de la presse et le pouvoir politique dans le pays. Ihsane El Kadi, directeur du site d’information Maghreb Émergent et de Radio M, est considéré comme l’un des derniers représentants de la presse indépendante en Algérie.
L’incarcération d’Ihsane El Kadi est le résultat d’un processus judiciaire qui a débuté il y a plusieurs mois. Le 12 octobre 2023, la Cour suprême a épuisé son dernier recours, condamnant le journaliste à cinq ans de prison et deux ans de mise à l’épreuve. Cette décision a été accueillie avec consternation par les défenseurs des libertés, qui estiment que la justice a été bafouée. Le journaliste est actuellement détenu à la prison d’El-Harrach, dans la banlieue d’Alger, où il « garde le moral », selon son entourage, malgré les difficultés qu’il rencontre, notamment en ce qui concerne la réception de son courrier.
La situation d’Ihsane El Kadi est particulièrement préoccupante, car elle reflète les risques que courent les journalistes qui osent critiquer le pouvoir en place. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait publiquement désigné Ihsane El Kadi comme un « khabardji », un terme qui signifie « indic » ou « espion », avant même que le journaliste ne soit jugé. Cette déclaration a été interprétée comme un signal politique fort, indiquant que le pouvoir n’hésiterait pas à utiliser tous les moyens pour faire taire les voix dissidentes.
Face à cette situation, les défenseurs des libertés ont décidé de changer de stratégie. Alors que les appels à la pression internationale n’ont pas donné les résultats escomptés, ils ont décidé de gérer l’affaire à l’échelle nationale. Un collectif de personnalités algériennes, composé de journalistes, d’artistes et d’intellectuels, a adressé une lettre ouverte au président Tebboune, lui demandant d’user de ses prérogatives pour accorder la grâce présidentielle à Ihsane El Kadi. Cette initiative a été lancée en janvier, mais n’a pas encore reçu de réponse.
Les ONG pour la liberté d’expression ont également lancé un appel à la mansuétude pour gracier plus de 200 prisonniers d’opinion, dont Ihsane El Kadi, en vain. Le représentant de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique du Nord, Khaled Drareni, a réitéré cette demande à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai. Malgré ces efforts, le silence du pouvoir algérien est assourdissant.
L’avenir d’Ihsane El Kadi est donc incertain. Certains estiment que le président Tebboune pourrait être enclin à l’indulgence dans l’optique de l’élection présidentielle, qui aura lieu le 7 septembre prochain. D’autres pensent que la fête de l’indépendance, le 5 juillet, pourrait être un moment propice pour une éventuelle libération. Quoi qu’il en soit, l’affaire Ihsane El Kadi reste un symbole de la lutte pour la liberté de la presse en Algérie, un pays qui figure à la 136e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 2023.
La situation d’Ihsane El Kadi est également un rappel de la responsabilité qui pèse sur les dirigeants politiques pour défendre les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression. Alors que l’Algérie se prépare à une élection présidentielle, il est essentiel que les candidats s’engagent à respecter et à protéger les droits des journalistes et des citoyens à exprimer leurs opinions sans crainte de répression. La libération d’Ihsane El Kadi serait un geste fort en faveur de la liberté de la presse et de la démocratie en Algérie.