La liberté d’expression en Algérie : un rêve qui s’éloigne
La condamnation du journaliste Ihsane El Kadi à cinq ans de prison, dont trois ferme, est un coup de grâce porté à la liberté d’expression en Algérie. Le verdict, prononcé le 2 avril dernier par le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, est le résultat d’un procès qui a été largement critiqué pour ses irrégularités et ses atteintes à la présomption d’innocence. Les avocats d’Ihsane El Kadi avaient décidé de boycotter le procès, soulignant que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies.
La répression qui s’est abattue sur les acteurs du Hirak, le mouvement de protestation qui a secoué l’Algérie en 2019, a créé un climat de peur et de censure dans le pays. Les autorités algériennes ont fait preuve d’une grande fermeté envers les journalistes et les opposants, utilisant des accusations fallacieuses pour les mettre au silence. Ihsane El Kadi, qui a refusé de céder à la peur, a payé le prix fort pour son engagement en faveur de la liberté d’expression.
L’accusation de réception de fonds de l’étranger, qui a motivé la condamnation d’Ihsane El Kadi, est basée sur une somme de 25 000 livres sterling envoyée par sa fille, Tin Hinan El Kadi, qui réside au Royaume-Uni. Cette somme, qui a été envoyée pour permettre le paiement des salaires des journalistes et des employés d’Interface Médias, dont les comptes étaient bloqués, est présentée comme une preuve de la corruption du journaliste. Mais les avocats d’Ihsane El Kadi affirment que cette accusation est infondée et que la véritable raison de la condamnation est ailleurs.
En effet, Ihsane El Kadi a été accusé d’être un "indic" par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, au cours d’un entretien à la télévision nationale. Le journaliste avait osé remettre en question l’attitude du haut commandement de l’armée face à un éventuel deuxième mandat du chef de l’Etat, et avait contesté le fait que 20 milliards de dollars avaient été récupérés auprès des oligarques du clan de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. Ces questions, qui touchent au cœur du pouvoir en Algérie, ont déplu aux autorités, qui ont décidé de faire taire le journaliste.
La dissolution de l’agence Interface Médias, éditrice de Radio M et du site d’information Maghreb Emergent, est un coup dur porté à la liberté de la presse en Algérie. Les deux médias, qui figuraient parmi les derniers à être indépendants dans le pays, ont été fermés et mis sous scellés, privant les Algériens d’une source d’information fiable et libre. L’amende de 10 millions de dinars et la confiscation de tous les biens d’Ihsane El Kadi sont autant de mesures qui visent à anéantir le journaliste et à décourager les autres de suivre son exemple.
La condamnation d’Ihsane El Kadi est un signal alarmant pour la liberté d’expression en Algérie. Le pays, qui a connu un moment de grande effervescence démocratique avec le Hirak, semble aujourd’hui s’enfoncer dans une ère de répression et de censure. Les autorités algériennes doivent prendre conscience que la liberté d’expression est un droit fondamental, essentiel à la démocratie et à la bonne gouvernance. Les journalistes, les écrivains et les opposants doivent être libres de s’exprimer sans crainte de représailles, et les médias doivent être protégés contre les pressions et les censures.
Le rêve d’Ihsane El Kadi, qui a déclaré avoir rêvé avoir porté plainte contre le président de la République pour diffamation et avoir gagné son procès, est loin de se réaliser. Mais son courage et son engagement en faveur de la liberté d’expression doivent inspirer les Algériens et les défenseurs de la démocratie dans le monde. La lutte pour la liberté d’expression en Algérie est loin d’être gagnée, mais avec des hommes et des femmes comme Ihsane El Kadi, il y a encore de l’espoir pour un avenir meilleur.