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Critique – L’artiste du mouvement reprend son mauvais rôle de metteur en scène et crée un magnifique ballet sur l’opéra de Purcell.
Deux rangées de projecteurs et dix danseurs. Aucun décor ni accessoire. Blanca Li ne manque pas d’audace : dans une ère avide de distractions qui va même jusqu’à détourner les concepts pour éviter de plonger dans la danse pure, la belle Espagnole n’évite rien. Rien que de la danse. Et de la musique tout de même : une heure et dix minutes de Didon et Énée dans une version où transparaît la verve de William Christie. Elle avait enregistré l’an dernier lorsque qu’elle avait tenté une mise en scène dansée – et échoué – de cet opéra. Elle y revient pour le meilleur.
À l’ouverture, les dix danseurs se tiennent côte à côte dans un rectangle de lumière. Ils semblent jouer de la musique, des instruments invisibles, mais leurs mains tirent l’archet ou tiennent la flûte, et c’est ainsi, en musiquant en silence, que la spirale de Purcell s’empare de leurs corps. Elle les habite de bout en bout de la pièce, et la matière de leurs dix corps utilisés de différentes manières modèle et dévoile tout l’univers de ce drame. Du groupe, émerge un danseur. Il est Didon, Belinda ou Énée. Puis le groupe se reforme pour les chœurs, et se laisse façonner par les différents rôles à incarner : toute la matière mythologique de Didon et Énée semble naître de la danse. Son flux se forme et se reforme au gré des vagues du récit musical pour sculpter le royaume de la reine de Carthage, comme les sinistres sorcières, ou les étreintes des amants joliment multipliées entre trois couples ou portées au contraire par un seul lorsqu’il s’agit de souligner l’intensité dramatique de leur lien.
Quelques lignes de danseurs joliment disposées en frise grecque donnent, ici et là, une touche antique. D’autres, assemblés en pyramides étranges et monstrueuses, incarnent les sorcières. Didon, on le sait, est reine de Carthage, dont les rivages sont baignés par les flots. Son amant Énée la quittera par la mer. L’eau est le seul accessoire que Blanca Li se permet. Peu après le premier tableau, la scène est arrosée et les danseurs évolueront pendant une heure dans des figures mêlant les glissades et les éclaboussures à la danse. La scène se prête ainsi naturellement aux manifestations de joie. Mais elle se fait aussi miroir des larmes.
Et la gestuelle ? Rien n’est interdit, que ce soit le classique, le contemporain, le hip-hop, ou les poses fluides héritées de Pina Bausch. Blanca Li semble s’être donné pour règle que la danse respire la musique : les corps se tordent, s’élancent, se spiralent pris par cette rythmique particulière à Purcell, et Blanca Li les assemble en lignes, en cercles, en diagonales. Ils sont excellents et tiennent un rythme d’enfer.
Si les deux derniers tableaux sont un peu moins inspirés, on se réjouit de retrouver Blanca Li au meilleur de sa forme. Il est vrai que sa complicité avec William Christie avait jadis donné naissance à de mémorables Indes Galantes et que la chorégraphe s’était elle-même illustrée dans la veine antique. On se souvient encore du Songe du Minotaure qui l’avait sacrée déesse à la Biennale de la Danse de Lyon.
Didon et Énée à La Villette jusqu’au 31 octobre, puis en tournée en 2025.
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