L’écrivain Amara Lakhous, figure incontournable de la littérature algérienne contemporaine, nous plonge dans l’univers complexe de son pays à travers son dernier roman, « La Fertilité du mal ». Avec une plume aussi incisive que sensible, Lakhous explore la tension entre passé et présent, tout en interrogeant les grandes questions qui hantent l’Algérie depuis son indépendance en 1962. Ce thriller captivant, publié chez Actes Sud, est une véritable réflexion sur la trahison des aspirations révolutionnaires et les dérives de la politique contemporaine.
Dans ce récit, Lakhous se penche sur les effets corrosifs de la révolution qui, comme il le souligne, « dévore ses enfants ». En effet, alors que le pays célèbre le cinquante-sixième anniversaire de son indépendance le 5 juillet 2018, un crime inattendu vient plomber l’atmosphère festive. Au cœur de ce drame, le personnage de Miloud Sabri, surnommé « La Huppe », un ancien combattant devenu haut fonctionnaire, est retrouvé mort dans des conditions sordides. Son corps mutilé, découvert dans une villa luxueuse d’Oran, témoigne d’une violence inouïe et d’une profonde rancœur accentuée par le passage du temps.
Le roman révèle progressivement la complexité de la vie politique algérienne, où les ambitions de quelques-uns ont souvent été bâties sur les rêves écrasés de nombreux autres. À travers le destin de quatre amis, dont des idéalistes ardents, Lakhous brosse le tableau d’une génération qui a cru en un avenir meilleur, avant de se retrouver trahie par le système qu’elle espérait dénoncer. Parmi eux, nous découvrons des personnages qui ont réussi à s’installer dans la hiérarchie en utilisant les naufrages d’autrui à leur avantage, tandis que d’autres luttent contre le désespoir et l’injustice.
La force du récit réside dans sa capacité à éviter le piège de la simplification. Certes, la corruption est omniprésente et s’affiche sans scrupules, mais Lakhous refuse de sombrer dans un manichéisme facile. À travers ses personnages, nous assistons à une lutte complexe où la moralité est souvent floue. Ce thriller ne se contente pas de dénoncer des travers ; il invite également le lecteur à réfléchir sur les déceptions et les désillusions qui jalonnent l’histoire d’un pays.
En parallèle, la construction du suspense est habilement maîtrisée. Alors que les enquêteurs s’efforcent de garder ce meurtre sous silence afin de ne pas raviver les souvenirs douloureux de la guerre civile, des questions essentielles émergent : qui est réellement responsable de cette mort ? Est-ce un acte de vengeance ancré dans le passé tumultueux du pays ? Ces interrogations résonnent avec force, d’autant que Lakhous évoque les ombres du passé, hantant les esprits d’hier et d’aujourd’hui. Loin d’être une simple intrigue policière, « La Fertilité du mal » s’interroge sur la nature même de la justice et de la responsabilité collective.
À travers ce roman, Lakhous nous offre également une critique acerbe de la société algérienne actuelle, marquée par des inégalités sociales croissantes et un système politique en déliquescence. En mêlant habilement enquête et réflexion sociale, il parvient à briser le mur du silence autour des plaies encore béantes de l’histoire algérienne. Les personnages, à la fois touchants et désillusionnés, sont en quête de rédemption, dans un monde où la corruption semble s’être enracinée à tous les échelons du pouvoir.
« La Fertilité du mal », au-delà de son intrigante construction, est une invitation à redécouvrir une Algérie en quête de son identité, tiraillée entre la mémoire d’un glorieux passé et les désillusions du présent. Dans un style à la fois percutant et poétique, Amara Lakhous transcende les frontières du simple thriller et livre une œuvre à la fois engagée et profonde. Avec ses 288 pages, ce livre, disponible au prix de 22,50 euros, mérite sans aucun doute d’être lu, tant il nous pousse à réfléchir sur les enjeux d’une société en pleine mutation.