Retour derrière les scenes du Siècle d’or : la dernière heure avant la première représentation de « Le Soulier de satin »
Paris, dimanche 14 h, Comédie-Française. Au fond de l’âme de cette institution culturelle, une équipe hors du commun se préparait à donner naissance à un chef-d’œuvre. Il fallait bien sûr une minute pour se rendre compte qu’on était en train de vivre un instant sublime. Dans les coulisses, les coulisseurs, les décors, les costumes et les comédiens convergent vers un seul et même objectif : émerveiller le spectateur.
La salle, transformée en théâtre de rêve, est un gigantesque atelier de créations. Les décors, signés de Christian Lacroix, miroitent d’or et de brocart, transportant le public dans un monde aux tons dorés et somptueux. Cependant, derrière ce décor, il est clair que les coulisses sont le réel cœur de l’aventure. L’air est électrique de tension, les paroles sont chuchotées, les regards s’affinent.
Nous sommes jeudi, à quelques heures de la première représentation de « Le Soulier de satin », la grande pièce de Paul Claudel mise en scène par Éric Ruf. Les comédiens, qui ont vécu une année d’accalmie, semblent avoir atteint une véritable émotion intérieure. Ils s’affairent, discutant, se préparant, leur regard à fleur de peau pour les seconds qui sont juste derrière.
« Comment peut-on être dans l’attente d’un événement aussi lourd, aussi en profondeur? » écrivait Claudel à propos de cette très longue pièce dramatique. Cette sensation, nous l’avons vécue derrière les scenes, sans prendre conscience que nous sommes devenus partie intégrante de l’équation. Les éternels regards de Mireille Franchitto et de Jérôme Fouquet, les bras entrelacés comme une étreinte défiant le temps, semblaient nous dire : « Nous sommes là pour rendre compte de l’inexplorable. »
Tous les coulisseurs, les techniciens, les comédiens, les machinistes, les couturières et les décors, sont unis pour créer ce moment d’une vie. Les pas précaux, les discussions à voix basse, les sourires chuchotés sont signes d’une entière confiance dans leur communauté. Les membres de la troupe ne cessent de se prendre les mains, de serrer les poings, les yeux brillant d’une foi sans bornes.
Au fond, ces moments derrière les scenes sont l’art pour l’art, cette éternelle tentative d’approcher de la perfection. Les costumes et les décors de Lacroix, couteaux de précision délicates, montrent que les coulisseurs sont des maîtres dans leur métier. Les comédiens, en écartant les rideaux qui les séparent de leur public, deviennent des dieux pourtant humains.
A quelques heures de la représentation, l’angoisse est palpable, même si elle est tétanisée. Nous avons assisté, pour la première fois, aux ultimes réglages, aux ajustements méticuleux qui faisaient de ces quelques heures un moment sublime et monstrueux. Aucun détail ne pouvait être écarté, aucun plan ne pouvait être oublié, car il fallait répondre à l’écho de cette pièce extraordinaire.
Pour tous les spectateurs, ces moments sont un détour dans le temps. Ils font partie d’un récit qui leur fut raconté sans parler, qui leur fut communiqué sans mots. Ces moments derrière les scenes sont la promesse du spectacle à venir. On peut dire que le succès est assuré si l’on peut maintenir cette émotion intacte.
La grande répétition finale va bientôt avoir lieu. Les comédiens s’alignent, leurs regards convergeant vers l’avant de la salle. Cet instant est le seuil de l’inconnu, la frontière du possible et de l’incroyable. Ici, dans ce coin de l’âme de la Comédie-Française, les seconds sont désormais les premiers.
Les lumières, les musiques, les décors, les coulisseurs et les comédiens convergeant vers un même objet : le public. Cette pièce, si proche de l’incompréhensible, est à la fois inaccessible et intime. Au fond, c’est ainsi que l’art, en cette heure derrière les scenes, a son plus grand pouvoir.
Mais pour qui? Pour ceux qui, comme nous, ont vécu une heure de leur vie pour partager le secret d’un moment inoubliable, pour ceux qui, sans le savoir, sont en train de créer leur histoire.