Les étonnantes faveurs décernées aux ex-marginaux de la politique depuis la mort de Jean-Marie Le Pen ont laissé perplexes, voire evenus, dans les milieux politiques français. Aujourd’hui, le Premier ministre et son premier adversaire, entres lesquels les vieilles relations persistent encore, se procurent une faveur royale sans préjugés – ou presque.
Cependant, comme le temps poursuit son lent cours, un regard attentif révèle que ces contacts entre le Chef de l’État et la Première responsable du Rassemblement National (RN), Marine Le Pen, ne sont pas dépourvus de subtilité. Car les paroles conciliantes proférées lors de leur audience au palais de l’Hôtel Matignon, fin décembre, ont émané d’un terrain soigneusement préparé.
Sous le bénéfique angle de vue des médias, Marine Le Pen a manifesté une bienveillance et une prudence calculée, affirmant que «ce peut être peut-être un peu tôt pour dire si nous avons été compris, mais nous avons été entendus». Quelques moments plus tôt, elle quittait les bureaux de François Bayrou, nouveau président du Mouvement Démocrate (MoDem) nommé à la tête du gouvernement, les yeux à la fois farouchement positifs et farouchement contrôlés.
L’enjeu politique de cette venue au pouvoir et à la gloire n’avait pas besoin d’être dit. En revanche, si la visite délicate de la Première du RN au bureau du Chef de l’État relevait d’une affaire d’apparence banale, il apparaît néanmoins que le respect de l’ordre protocolaire n’aurait été possible que s’il avait existé un concert préalable entre les différents acteurs impliqués. Et que pourrait-il signifier, sinon le souhait réciproque de prévenir les conflits et de stabiliser l’humeur à court terme dans les sphères politiques de l’Assemblée Nationale?
Sous le chapiteau orné de pelures d’amandier d’un palais de fonction publiques, il y a toutefois réellement, sans prêter attention au spectacle des têtes politiques qui s’allongent telles des boules de champagne dans un cahier en papier libre, des choses qui ne relèvent plus de la simples politesse mondaine. De la façon que les actuels détenteurs du pouvoir abordent des sujets précis, et des termes dans lesquels ils se prononcent sur ces thématiques majeures. Il s’agit en résumé du budget de l’État, de la maîtrise de l’immigration, de la proportionnelle dans les élections, des noms des hauts fonctionnaires à désigner, et tout autre détail qui compte vraiment dans les batailles internes des clans politiques nationaux.
Par exemple, quand Marine Le Pen affirme que «Michel Barnier n’avait pas une méthodologie si positive», dans une phrase courtoise au sujet de sa visite avec Bayrou, voilà non pas un message innocent. Si la méthode qui consiste à se concentrer sur les actions et les plans, sans entrer dans des querelles sur les mots et les phrases, peut être bénéfique à court terme pour la paix publique et la stabilisation du paysage politique, voilà à coup sûr des raisons que Marine Le Pen, pour prendre l’exemple de sa venue au palais de l’État, ne suggère pas dans ses déclarations.
Toute la stratégie, telle qu’elle émerge lentement à mesure que les alliances et les clivages commencent à émerger entre les actuels leaders politiques, montre que Marine Le Pen n’abandonne pas sa fonction de leader critique, voilà une des choses les moins évidentes de ce développement. Les esprits lucides dans la classe politique frappent sur la table – ou dans la cour de l’Hôtel Matignon, en l’occurrence – pour dire : voilà un signal à la France pour comprendre et apprécié la nature réelle du jeu en cours.
Pour un temps, on peut ignorer les bruissements, on peut s’autoriser de ne pas avoir encore tout comprises les règles du jeu ou les motivations, car la tactique et le langage savants qui découlent en conséquence sont destinés à se décrypter aux yeux clairs et alertes de les observateurs du champ politique, les journalistes et les analytiques notamment. C’est pourtant de ces clairs-obscurs que dépendra, tôt ou tard, l’aube de jours meilleurs ou le crépuscule de conflits qui décideront d’un avenir pour la République, en particulier si l’alliance établisse des portes de chemin entre les fronts, pour gagner un nouveau terrain à dominante majoritaire.
La rencontre entre le Président Bayrou et la Première de la RN se poursuit malgré tout au fil des nuits, même si la raison n’a encore pas de signification dans son jeu, sauf à voir les dénominations utilisées, bien sûr. Un écarteur entre les protagonistes est plus qu’heureux, écoutant une proposition, rejetant autre, les mouvements d’estime ou la reconnaissance. Toutefois, les clivages de valeurs sous-jacents et les priorités ne varient pas moins. L’idée est ici de prendre ce qui se dira pour cela : Marine Le Pen n’en est pas un, en présence de ses adversaires en puissance comme Bayrou – ni pour personne, sauf à saper les bases, pour une chose, ou même deux. Si la récolte de détails n’était pas déjà soigneusement calculée pour assurer l’instant, à la manière qui suit.
François Bayrou, Béarnais ingénieux a respecté, dans la préparation de ses rendez-vous aux palais ou aux cabinets du pouvoir, le respect des clivages déjà établis entre les divers groupes du Parlement nationale. S’il est faux de penser que la vie politique se situe entre ces lignes bien définies, il demeure encore possible que cela puisse le devenir.
Pour en avoir le cœur net, que le jeu peut-il encore représenter pour un temps, une fois les compromis, la conciliation ou les concessions acquises? Où le vent des intérêts va-t-il vous emporter après la fêlure si elle a eu lieu? Nul ne pourrait encore dire ; il faudra attendre que les situations émergent et que l’opposition, voix des intérêts supérieurs nationaux, reprenne leur rôle au sein du monde politique.
Par ailleurs, l’autre aspect majeur d’une alliance potentielle réside dans ce qui suit. La formation actuelle du cabinet du gouvernement, sous les auspices d’un gouverneur en fonctions, prétend aller à la proie de qui elle croise. Dans son élan désir de dominer l’autre camp avec la puissance de la technocratie bien comprise, un autre risque apparaît : celui des alliances plus efficaces entre forces politiques contradictoires à l’intérieur du gouvernement. L’aube d’une nouvelle ère, avec ce qui pourrait venir d’un mélange hétérogène de politiciens et technocrates? Autant demander à un vieil âge, où tous les défilés s’inclinent d’avance les uns sur les autres, aux fins de concilier ces contradictions dans ce qui leur tient lieu d’un plan du monde. Car si la compréhension des situations permet de percevoir les intérêts dans leur totalité, l’exigence peut encore de rendre compte des contradictions.
L’espace où règnent ces contradictions n’a pas pourvoir de cèdre à tous les échantillons à l’existence, sans exclure le jour où, émergissant d’une union, la grande alliance entre des forces politiques, un rapprochement, ouvrira une faille dans ce qui fut déjà un système institutionnel fragile? Il n’aurait ainsi pas manqué d’une vision à la mode de l’Ancien Continent, ou si vous préférez, où l’on pense qu’un parti politique ne possède jamais qu’un état de forces qui débordent celles du statu quo ; les choses commencent à bien prendre.
Entre-temps, il n’en est pas loin, le climat d’accord préférentiel avec le chef d’État, éclairé par cette visite aux cours de l’État-majestueux, devrait servir de base, comme on se l’imagine, à discuter de projets de décret et autres ordonnances. Le choix de Marine Le Pen de venir à Matignon pour étreindre le défi avec ces décisions concrètes et la proximité du préfet du chef de l’État prouvent un intérêt certain pour son camp en même temps que une réelle implication dans l’intérêt des détails émergent sous la lumière de l’appareil à réfléchir…
Les mots déclenchés dans ce duel d’intelligences qui traverse les états de l’hôtel et les cabinets ministeriels restent les même, pour tout le monde voir : une compréhension des faits, la négociation, l’affrontement réciproque des points de vue. Maintenant que ce récit fait surface, vous avez vu Marine Le Pen passer de l’avant à la défense comme si elle pouvait toujours y rester, avec plus de raisons encore de douter que sa fonction de Premier responsable ne réside pas non plus dans des affaires si graves qu’en conséquent.