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Dix ans se sont écoulés sans qu’ils reçoivent une invitation et pourtant, ils surgissent à chaque week-end prolongé dans une résidence secondaire appartenant à leur entourage. Ces amis squatteurs ne demandent plus la permission, ils s’annoncent simplement convaincus d’être attendus. Comment choisissent-ils leurs victimes ? La longueur de la piscine et la marque du barbecue constituent-elles des critères de sélection ? Est-il possible de s’en débarrasser de ces squatteurs ? Plongeons dans un monde sans foi ni loi.
On les apprécie réellement, c’est indéniable. Ils sont sympathiques, drôles et n’arrivent presque jamais les mains vides, que demander de plus. On les a invités une fois, puis une deuxième, et soudainement la machine s’est enrayée. L’année suivante, ils ont appelé pour demander s’ils devaient prendre leurs billets pour le vendredi ou le samedi alors que nous planifiions une escapade en amoureux. Nous n’avons osé rien dire, ils semblaient si heureux ! Nous avons ressenti une certaine culpabilité aussi : tout le monde n’a pas la chance de posséder une maison sur la côte. Depuis, ils débarquent systématiquement au premier rayon de soleil et week-end prolongé, et c’est davantage leur présence anticipée que leur présence réelle qui nous les rend, avouons-le, insupportables.
Cette année, Claire a délibérément menti lorsque Pierre lui a demandé si elle serait présente dans sa maison de Veules-les-Roses (Normandie) pour l’Ascension. « Nous l’avons invité quelques fois après son divorce, et depuis c’est l’enfer : il considère sa présence comme acquise. J’ai improvisé en prétendant que nous refaisions complètement la cuisine, cela nous donne un peu de répit mais cela n’a aucun sens à long terme. Je suis à deux doigts de rompre définitivement avec lui pour éviter d’assumer les conséquences de ce mensonge le jour où il se présentera ! ».
Comme Pierre, plus de la moitié des Français ont opté pour des hébergements gratuits chez la famille ou chez des amis en 2023, selon l’Insee. En revanche, la majorité d’entre eux se sont assurés de l’accord de leurs hôtes avant de débarquer avec leurs valises. Et contrairement aux idées reçues, les spécialistes de l’incruste dans les maisons de vacances disposent généralement de moyens financiers suffisants : peu de personnes en dessous du seuil de pauvreté ont un réseau d’amis possédant des résidences secondaires, encore moins à Saint-Cast, l’île de Ré, Gordes ou Saint-Jean Cap Ferrat.
L’été dernier, tout a basculé quand ils ont dévoilé, en toute décontraction, qu’en réalité ils louaient leur propre maison secondaire sur Airbnb pour la même période ! Finalement, ce qui a le plus vexé Claire, c’est d’apprendre que Pierre s’était rabattu sur la maison d’amis communs située à quelques dizaines de kilomètres de leur villa. « Il a un fichier de nos maisons avec la distance jusqu’à la mer et le jour des marchés ? Il procède par cercles concentriques ? Cela devient vraiment opportuniste, au final il se fiche assez de venir nous voir », s’exclame la jeune femme. Cependant, Pierre est loin d’être le seul à exceller dans cette catégorie. Certains squatteurs érigent leur talent au rang d’art pour des moments de magie entre amis, comme celui récemment vécu par Jean-François.
« Céline et Alexis s’incrustaient chez nous depuis plusieurs années, début août, dans le golfe du Morbihan. C’était devenu pénible, mais comme on n’avait jamais réussi à le formuler, nous subissions avec philosophie notre destin de lâches », analyse paisiblement le quadragénaire. « Mais l’été dernier, tout a basculé quand ils ont lâché, en toute détente, qu’en fait ils louent leur propre maison secondaire sur Airbnb à cette période ! Je me suis senti pris pour un idiot, le ton est monté rapidement. Ce n’était pas tant sur le fond que sur la forme : leur désinvolture m’a fait perdre mon calme… Le lendemain matin, ils sont partis ».
Si les personnes squattées se bousculent pour partager leur calvaire, les squatteurs se font plus discrets, à quelques exceptions près comme Julien, qui assume pleinement son statut. « Je capitalise pour des voyages incroyables à l’autre bout du monde, donc si je veux bouger en France, c’est forcément chez les autres. Et c’est toujours mieux s’il y a une piscine », reconnaît l’ingénieur de 35 ans. « Mais je fais de gros efforts pour compenser. En amont, je trouve toujours un nouveau prétexte, pour avoir une forme de ‘prime à l’originalité’ : rupture, inondation, annulation… C’est la moindre des choses, même si personne n’y croit. Et une fois sur place, je travaille à fond dans la maison et le jardin ».
Finalement, ne vaut-il pas mieux un Julien qui tonde et bricole – bien qu’il entremêle un peu le wwoofing et l’amitié – que des hôtes invités qui ne lèvent pas le petit doigt ? Non, selon Claire : celui qui s’impose de lui-même, aussi adorable soit-il, provoque de l’irritation et engendre des conflits collatéraux. « Mon mari et moi nous sommes disputés des dizaines de fois à cause de Pierre. Nous en sommes à dater notre amitié avec lui au carbone 14 pour savoir lequel d’entre nous devra lui parler… ».
Attention aux tentatives de parade maladroites, comme en a fait les frais Fanny. « Un couple nous a demandé si nous serions en Normandie pour le week-end du 1er mai. Voulant être tranquille, j’ai répondu que non… Ils ont alors demandé à ce que nous leur prêtions la maison ! J’ai répondu que ma sœur y serait, mais comment peut-on manquer autant de savoir-vivre ? ».
Dans ce cas également, le mensonge de dernière minute a été la technique privilégiée face à l’aplomb des importuns. Il est probable que la franchise serait tout aussi efficace, mais semble peu populaire. Claire admet que passé un certain stade, il devient impossible pour elle de clarifier la situation. « Parfois, je me dis que nous n’avons qu’à vendre la maison et en acheter une autre sans en parler à personne. Cela me semble moins insurmontable que de dire à Pierre que sa présence nous pèse. Ou alors, je vais vraiment faire des travaux dans la cuisine. Après tout, elle est un peu défraîchie. Et puis Pierre est si gentil… ».
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