CRITIQUE – En explorant les coulisses de la création de la robe de mariée de la princesse d’Angleterre, Caroline Guiela Nguyen offre un regard inédit sur les contes de fées. Captivant.
Envoyé spécial à Avignon (Vaucluse)
L’auteure et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen dévoile en quelques mots sa dernière œuvre. Une invitation à un voyage imaginaire ? « Il était une fois une princesse d’Angleterre qui souhaitait une robe de mariée, et nous allons suivre l’histoire de toutes les personnes ayant le privilège de travailler sur cet ouvrage. » Les plus beaux rêves peuvent parfois se transformer en cauchemars éveillés. C’est le thème de Lacrima. Dès les premières minutes, le spectateur est plongé au cœur de la maison de couture française Beliana. Le personnel est vêtu de blouses blanches. Ces ateliers ressemblent à des cliniques, des lieux aseptisés où la couture se fait sans relâche. Attention au choc postopératoire.
Nous sommes le 30 mai 2025. Sur scène, le lieu secret. La robe de mariée est là, difficile à décrire avec précision tant elle semble dégager une aura blanche, prolongée par une longue traîne évoquant une allée d’église. L’atmosphère est empreinte de crainte, le visiteur a l’impression d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine. Les mannequins se laissent draper de tissu avec un savoir-faire français presque religieux.
La première scène annonce la fin tragique de l’histoire : Marion (interprétée de manière magistrale par Maud Le Grévellec), première d’atelier chez Beliana, est en visioconférence avec son médecin après avoir vidé une boîte d’anxiolytiques. Les pompiers arrivent, un massage cardiaque est pratiqué. Fin de la scène. La pièce se focalise ensuite sur le parcours douloureux de Marion vers cette tentative de suicide.
Flash-back. Septembre 2024, la maison de couture est en ébullition. Elle a été choisie pour confectionner la robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Huit mois pour réaliser la plus belle des robes, un délai très court. Caroline Guiela Nguyen a su tisser habilement les fils de plusieurs histoires pour créer Lacrima. À travers des interviews, nous découvrons les secrets des dentellières d’Alençon (avec la merveilleuse Liliane Lipau dans le rôle de Thérèse, pour ne citer qu’elle) ; nous plongeons dans l’atelier Shaina à Mumbai, dirigé par Manoj (Vasanth Selvam) et son brodeur d’exception Abdul qui perd la vue (Charles Vinoth Irudhayaraj), ces petites mains qui œuvrent pour une robe unique dont les plans sont gardés s…
Pendant plus de trois heures, nous suivons les tensions entre les différentes corporations et les ravages de la robe sur le couple Marion et Julien (interprété par Dan Artus) ainsi que sur leur fille Camille, atteinte de bipolarité (Anaele Jan Kerguistel). Les scènes de la vie conjugale sont d’une intensité bouleversante. De l’extérieur, une maison de haute couture est un paradis hermétique. De l’intérieur, elle est un brasier.
Lacrima nous raconte l’envers du conte de fées, ses aspects sombres et peu reluisants. Le spectacle oscille entre la beauté des réalisations de ces artisans de talent et l’exploitation cruelle dont ils sont victimes. D’une réalisme saisissant, il captive et émeut. Ces personnages, porteurs de mystère et de souffrances, ne nous quittent pas. La haute couture est un art éphémère, mais Lacrima, œuvre profondément addictive, restera gravée dans les mémoires.
Au gymnase du lycée Aubanel, Avignon. Jusqu’au 11 juillet.